Investissement durable: naviguer dans des conditions défavorables

Hamish Chamberlayne, Janus Henderson Investors

4 minutes de lecture

Les conditions ont été difficiles pour l’investissement ESG cette année. La thèse à long terme est-elle pour autant remise en cause?

Répondre à cette question suppose de répondre aux grandes questions sur les facteurs à l’œuvre dans le domaine de l’investissement environnemental, social et de gouvernance (ESG) et durable en 2022 et au-delà.

Comment le message véhiculé autour de l’investissement durable et de l’ESG a-t-il évolué depuis le début de l’année?

Les marchés actions ont fait face à de sérieuses difficultés cette année, et pour l’investissement ESG, ce fut une véritable épreuve. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, la hausse de l’inflation, le ralentissement de la croissance, le comportement des banques centrales et les répercussions toujours en cours de la pandémie ont provoqué une grande incertitude au niveau macroéconomique. Ces éléments se sont accompagnés d’un virage des marchés vers un positionnement fortement anticroissance et moins favorable à l’ESG, ce qui s’est traduit par une meilleure performance des secteurs qui ne sont généralement pas associés à l’investissement durable, comme l’énergie, la défense, le tabac et les matières premières. La bonne nouvelle, cependant, est que nous considérons cette évolution comme une correction naturelle et un résultat logique des excès de la bulle ESG qui s’est formée sur les marchés l’année dernière.

L’année 2021 a été marquée par une très forte tendance haussière pour tout ce qui touchait à l’ESG et aux valeurs de croissance qui racontaient une histoire. Ces valeurs «porteuses d’histoire» ont suscité un engouement sans précédent, et la promesse de ce que l’avenir leur réservait l’a emporté sur les flux de trésorerie et la rentabilité actuels. Ce phénomène a été particulièrement visible dans la demande dont ont fait l’objet les SPAC (Special Purpose Acquisition Companies), ces coquilles créées pour lever des fonds au moyen d’une introduction en bourse afin d’acheter une autre société, souvent avec un prisme ESG. Il s’agit notamment de sociétés liées aux batteries à l’état solide, à l’hydrogène, au recyclage du plastique, aux piles à combustible et aux nouveaux véhicules électriques.

Ces valeurs «porteuses d’histoire» ont suscité un engouement sans précédent, et la promesse de ce que l’avenir leur réservait l’a emporté sur les flux de trésorerie et la rentabilité actuels.

Même si ces histoires pouvaient potentiellement sembler passionnantes, notre approche a consisté à éviter tous les SPAC. Nous estimions qu’il s’agissait d’une énorme bulle spéculative ESG et, conformément à notre approche historique, nous n’y avons pas participé. Nous avons vu cette bulle éclater avec fracas en 2022.

Bien que l’environnement actuel soit difficile pour la croissance et les facteurs ESG, il renforce en fait les tendances à moyen terme sur lesquelles nous nous concentrons. La sécurité énergétique, la résilience économique et la relocalisation des chaînes d’approvisionnement sont autant de sujets en phase avec les thèmes de développement durable que nous privilégions. Les régulateurs et les gouvernements ont également confirmé leur intérêt pour l’ESG et ont pris des mesures pour soutenir la migration vers une économie mondiale plus durable. Parmi les dernières actualités liées au développement durable, citons le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui révèle que le réchauffement de la planète se produit à un rythme plus rapide que prévu et que la nécessité d’agir s’intensifie. Dans le même temps, la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) a publié la première version de son cadre de gestion des risques, la Securities and Exchange Commission américaine a annoncé qu’elle prévoyait de renforcer les obligations de transparence en matière de données climatiques, et l’Union européenne a décidé d’introduire une taxe carbone sur les importations de produits très polluants tels que l’acier, le ciment et les engrais à partir de 2026.

Les difficultés de court terme auxquelles a été confronté l’investissement ESG sont notables, mais la dynamique de long terme reste inchangée, voire s’est accélérée. Nous considérons donc la volatilité comme une réponse attendue aux excès du système et comme un soutien aux tendances porteuses de l’investissement durable sur lesquelles notre équipe se concentre.

Quel a été l’impact de la hausse des prix de l’énergie et de l’inflation sur l’investissement durable?

Les actions du secteur de l’énergie ont été parmi les grands gagnants de cette année et les approches d’investissement durable, comme la nôtre, qui ne sont pas exposées aux sociétés pétrolières et gazières, en ont souffert. Le développement durable est étroitement lié à l’innovation et nous recherchons des entreprises qui transforment le monde pour le rendre meilleur. Un exemple évident est le secteur des énergies renouvelables et les projets de développement qui y sont liés. Avec la hausse des prix du pétrole et du gaz, le nombre de projets susceptibles de générer des performances acceptables augmente. Plus largement, nous assistons à une augmentation de la demande pour de nombreux projets d’énergie renouvelable.

«Bien qu’il s’agisse d’un handicap pour l’investissement ESG et durable à court terme, nous pensons que la hausse des prix du pétrole et du gaz accélérera l’adoption des produits et services des entreprises offrant des solutions durables.»

Pour ce qui est de l’inflation et du rythme de la hausse des taux d’intérêt, qui inquiètent actuellement les marchés, nous pensons qu’il faut y voir un retour vers la normalité. Nous continuons donc de considérer que ces niveaux représentent des conditions favorables à la croissance.

En ce moment, on entend souvent dire dans les médias que les valeurs de croissance souffrent dans un contexte de hausse des taux. Cette affirmation ne repose pas sur des faits. Depuis le début des années 1990, la Réserve fédérale américaine a procédé à quatre cycles de resserrement des taux d’intérêt et, dans trois de ces quatre cas, les valeurs de croissance ont surperformé les titres value. Qui plus est, la technologie a fréquemment été le meilleur secteur dans lequel investir au cours de ces quatre périodes. Il est possible que la croissance ne surperforme pas la value cette fois-ci, mais il nous semble important de souligner que ce scénario ne correspond pas à l’histoire récente.

Le paysage de l’investissement ESG a-t-il fondamentalement changé?

Il est important de rappeler que nous sommes des investisseurs de long terme, ce qui signifie que nous ne réagissons pas aux tendances de court terme, notamment aux mouvements sectoriels et à la rotation des styles que nous connaissons actuellement. Au niveau mondial, nous constatons que la fragilité des chaînes d’approvisionnement, la résilience économique, la délocalisation de la production, la relocalisation des chaînes d’approvisionnement et l’indépendance énergétique soulèvent de nombreuses préoccupations. Ces éléments s’inscrivent dans les tendances liées au développement durable sur lesquelles nous mettons l’accent. Nous considérons donc la volatilité comme une opportunité de tirer parti d’un marché marqué par la peur du court terme. Cela s’est traduit par l’intégration de titres dont la thèse d’investissement à long terme nous paraît convaincante.

Selon nous, le défi du développement durable s’articule autour de quatre mégatendances, qui continueront de régir l’économie mondiale de demain:

  • La limitation des ressources
  • La croissance démographique
  • Changement climatique
  • Le vieillissement de la population

Source: Nations unies, un.org

Beaucoup d’entreprises durables recèlent un solide potentiel de croissance car elles apportent des solutions aux principaux défis sociétaux et environnementaux. Elles ont également le potentiel de bien se comporter dans un environnement inflationniste. La plupart d’entre elles jouissent d’un pouvoir de fixation des prix et proposent des solutions qui, dans de nombreux cas, sont déflationnistes. L’innovation technologique en est un bon exemple, puisqu’elle permet de réaliser des gains d’efficacité dans la production de biens et de services à grande échelle. La baisse du coût de l’énergie grâce aux énergies renouvelables est un autre exemple d’avantage déflationniste.

L’année 2022 a-t-elle ébranlé vos convictions en matière d’investissement durable?

Il est très important de faire la distinction entre le court, le moyen et le long terme. Il ne fait aucun doute que nous connaissons certaines des conditions d’investissement les plus défavorables de ces dix dernières années. Néanmoins, pour ce qui est du premier trimestre, cette situation contraste avec ce que nous voyons et entendons de la part des entreprises dans lesquelles nous investissons. Si l’on analyse les forces et les faiblesses des entreprises sous l’angle des fondamentaux, on observe actuellement de nombreux signes positifs, une croissance vigoureuse et une bonne résistance des modèles économiques.

Au niveau des États, les gouvernements s’attachent de plus en plus à investir dans les énergies renouvelables et à favoriser la relocalisation et l’implantation des chaînes d’approvisionnement.

Cela montre à quel point il est important de se concentrer sur la santé réelle des entreprises aujourd’hui, plutôt que sur les «histoires» de demain. Les difficultés de court terme auxquelles a été confronté l’investissement ESG sont notables, mais selon nous, la dynamique de long terme reste inchangée. Si le «climat» continue de peser sur les marchés, nous nous félicitons des opportunités à plus long terme que cela va nous offrir.

Pour lire l’intégralité de l’article, cliquez ici.