Anna Bretschneider explique pourquoi la persévérance est payante et pourquoi l'optimisme n'a rien à voir avec la naïveté.
Pendant des années, le partenariat d'investissement écossais Baillie Gifford était surtout connu des grands investisseurs institutionnels. Toutefois, avec ses investissements précoces dans des sociétés telles qu'Alibaba, Tesla ou Delivery Hero, le gestionnaire d’actifs a commencé à attirer l'attention d'une communauté de spécialistes financiers beaucoup plus large.
A mon avis, trois raisons nous différencient, à commencer par notre horizon d’investissement. Nous y consacrons du temps et de la patience. Nous ne considérons le «bruit» sur les marchés financiers, les rapports trimestriels ou les buzz sur les réseaux sociaux, que comme un bruit de fond. Notre conception du «long terme» diffère donc de manière significative des normes conventionnelles de notre secteur. En moyenne, nous détenons un titre dans une entreprise pendant huit ans et demi, alors que de nombreux autres investisseurs, qui se sont également engagés à long terme, vendent au bout de cinq ans seulement. C'est à ce moment-là que cela devient vraiment intéressant pour nous.
Bon nombre d'investisseurs ont du mal à traverser ces périodes avec nous. Lorsque le cours des actions est multiplié à plusieurs reprises, comme dans le cas d'Illumina, les attentes d’une prise des bénéfices augmentent. Mais même lorsque le géant pharmaceutique Roche a fait une offre de rachat sur Illumina en 2012 avec une prime de 80%, nous avons dit «non merci». Nous considérons souvent les fortes hausses de cours comme l’amorce d'un changement où il est payant de rester investi dans l'entreprise.
Le potentiel de hausse n'est pas plafonné. Notre secteur est si attentif à ne pas faire d'erreurs qu’il manque souvent de bonnes opportunités d'investissement. Les raisons pour lesquelles les investissements prometteurs ne sont pas repérés sont nombreuses, citons par exemple les structures de rémunération, y compris les mauvaises incitations, ou les inquiétudes quant aux perspectives de carrière. Bien entendu, nos positions ne tiennent pas toutes leurs promesses. Mais au lieu de nous concentrer sur ce qui pourrait mal tourner, nous misons sur les entreprises qui ont la capacité de transformer complètement des secteurs d’activité. Et nous laissons ensuite les gagnants poursuivre sur leur lancée.
Le professeur Bessembinder, de l'université d'État de l'Arizona, avec qui nous collaborons étroitement, a clairement démontré que seules quelques entreprises tirent le marché et créent de la valeur. Nous nous concentrons sur l'identification de ces quelques grands gagnants et nous les accompagnons tout au long de leur croissance.
Exactement. Nous voulons sortir de l’étroitesse de vue largement répandue dans notre branche. Pour moi, ce changement de perspective est aussi le deuxième point important qui nous distingue des autres gestionnaires d’actifs: nous nous intéressons aux entreprises qui sont à l'origine de changements structurels et qui sont prêtes à innover pour implémenter ces changements.
Cela se résume en une seule phrase: nous sommes optimistes. Cette attitude se reflète dans nos processus de travail quotidiens. Lors de nos réunions d’investissement, la première demi-heure est par exemple consacrée à trouver des raisons d'inclure une idée d'investissement dans notre portefeuille. Les votes dissidents ne sont autorisés qu'après cette étape.
Un ancien collègue m'a dit un jour: «Si vous voulez paraître intelligent, soyez simplement négatif. Expliquez aux gens pourquoi les choses ne fonctionnent pas». Il est si facile de critiquer une nouvelle idée d'entreprise et de nier qu'elle ait sa place à l'avenir - pourquoi Tesla fera faillite, pourquoi Amazon n’a pas d’avenir, pour ne citer que quelques exemples. Le vrai défi est d'imaginer «Et si?» Il est extrêmement difficile de comprendre les développements exponentiels, d'accepter que des secteurs entiers vont disparaître et ne reviendront pas à leur «juste valeur». Il n’est pas possible d’appréhender des changements aussi radicaux avec des modèles de flux de trésorerie actualisés («DCFs»).
Nous travaillons en étroite collaboration avec des universitaires du monde entier, et nous chargeons également des journalistes d'investigation de recueillir pour nous des informations sur des thèmes ou des secteurs spécifiques. Ce faisant, nous essayons de sortir des sentiers battus - et c'est effectivement ce qu’il convient de faire. Pour identifier les tendances à long terme, nous utilisons des sources d'information différentes. Si vous travaillez avec des horizons temporels allant jusqu'à dix ans, les prévisions pour les douze prochains mois ou même sur trois ans ne vous sont pas vraiment utiles. Nous recherchons la disruption, qui ne se trouve pas dans les rapports annuels des entreprises.
Seules les entreprises qui tolèrent une marge d’erreur peuvent rester compétitives à long terme. Nous sommes très transparents sur ce qui a bien fonctionné et ce qui a mal fonctionné. Mais ce ne sont pas les mauvais investissements qui nous dérangent le plus, car dans ces cas-là, nous ne pouvons pas perdre plus que notre investissement de départ. Ce qui nous ennuie vraiment, ce sont les opportunités que nous n'avons pas identifiées à temps. Prenons l'exemple de la société Netflix, avec laquelle nos gestionnaires ont discuté pendant trois ans, mais dans laquelle ils n'ont pas investi avant 2015, n’ayant pas compris dès le départ le potentiel de l'entreprise. Dans ce cas, nous n'étions tout simplement pas assez optimistes et cela nous a coûté cher au vrai sens du terme.
Les concepts de «value» et de «growth» nous posent un dilemme – très franchement, lorsqu’elle est considérée à long terme, la «croissance» est de la «value». Dans un monde qui change rapidement et fondamentalement dans de nombreux domaines en raison de l'innovation technologique, nous ne croyons pas à des concepts tels que la régression vers la moyenne. La valorisation des entreprises est bien entendu également importante pour nous, mais aujourd'hui la valeur est déterminée par les effets de réseau, les investissements en R&D, la valeur des données, l'adaptabilité et la culture d'entreprise. Les entreprises sont très différentes de ce qu'elles étaient auparavant. Si vous voulez investir dans l'avenir, vous ne pouvez pas vous contenter de regarder dans le rétroviseur.
Il s’agit d’un segment dans lequel nous sommes extrêmement actifs et qui est de plus en plus important pour nous. En tant que premier promoteur d’«investment trusts» (structure britannique de société d’investissement) au Royaume-Uni et par le biais de certains fonds à capital fixe, nous détenons actuellement des investissements de plus de 5 milliards de dollars dans des entreprises privées. Nous sommes particulièrement intéressés par les entreprises qui sont sur le point de s’introduire en bourse et entrer dans la cour des grands. Qui sont ces entreprises? Que peuvent-elles faire? Et quelles entreprises actuellement cotées en bourse vont-elles remplacer? Pour nous, ce sont les trois questions essentielles.
Un vaste réseau très diversifié vaut son pesant d'or - et nous travaillons depuis des décennies à l'amélioration constante de notre propre réseau. Nous avons ainsi pu établir d'excellentes connexions avec différentes industries. Prenons l'exemple de la technologie: nous entretenons depuis de nombreuses années d’étroits contacts avec Jack Ma, le fondateur d'Alibaba. Nous avons investi dans Alibaba deux ans avant son introduction en bourse et, selon Jack Ma, nous étions l'un des rares investisseurs à ne pas avoir pris nos bénéfices lors de l'introduction en bourse, mais à rester investis.
ByteDance est un autre exemple. Lorsque nous avons inclus la société qui contrôle TikTok dans notre portefeuille en 2019, nous avons suivi les anciens managers de Baidu qui comptaient parmi les fondateurs de ByteDance. Spotify en est un autre, plus près de chez nous en Europe.
Nous sommes un partenariat à responsabilité illimitée depuis 112 ans, ce qui est rare dans notre secteur. En d'autres termes, nous n'avons de comptes à rendre à personne, sauf à nos clients. Nous n’avons pas d'objectifs de vente, d'actionnaires externes ou d'autres tiers qui nous disent ce qu'il faut faire. Les 46 associés de Baillie Gifford sont impliqués dans les affaires courantes et occupent différentes fonctions au sein de l'entreprise, soit comme gestionnaires de portefeuille, soit dans d'autres fonctions de direction. Fondée en 1908, notre société est aujourd'hui entre les mains de la septième génération d'associés – et c'est exactement ce qui nous donne la capacité de penser en décennies plutôt qu'en trimestres.
Interview menée par Kathrin Schindler, Citywire