La tension géopolitique sino-américaine et la crise sanitaire liée au COVID-19 ont accentué la confrontation dans le domaine technologique entre Pékin et Washington: 5G, intelligence artificielle, semi-conducteur, cyber sécurité sont autant de sujets de discorde.

Après plus d’un an de conflits commerciaux, la sanction américaine contre Huawei, leader mondial des équipements 5G et SMIC (fonderie émergente des semi-conducteurs) a accéléré la substitution locale de la technologie en Chine, pour trouver un équilibre entre l’indépendance technologique et l’ouverture du marché domestique.

La vente indécise de TikTok et le bannissement potentiel de WeChat sont le reflet de la préoccupation quant à l’exploitation des données à usage d’intelligence artificielle par les entreprises chinoises soumises à la juridiction des États-Unis.

L’initiative Clean Network proposée dernièrement par l’administration Trump, dans une logique de réciprocité vis-à-vis du Grand Firewall de Chine, pourrait conduire à une scission de l’écosystème Internet.

Bien que l’administration Trump arrive à sa fin, nous nous attendons à la poursuite de cette confrontation, avec un développement plus régionalisé concernant les standards technologiques, et un renforcement du soutien des Etats, notamment concernant certains segments clés comme les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle.

L’Europe est en proie à un double défi. L’Union Européenne ne peut ni faire cause commune avec les États-Unis contre la Chine car elle ne partage pas leur manière d’aborder le problème, ni avec la Chine car elle conserve d’importants griefs à son égard.

Mais cette situation est également source d’opportunité. Les acteurs européens des semi-conducteurs, de l’équipementier comme ASML au fabricant comme STMicroeletronics par exemple, pourraient jouer des rôles importants quand la Chine cherchera à rattraper son écart avec les leaders mondiaux en termes de savoir-faire. Les acteurs européens pourraient aussi profiter du déploiement des réseaux 5G au détriment de Huawei.

Concernant le sujet de la 5G, les Européens pourraient bénéficier d’une occasion unique d’agir sur le plan stratégique global, à condition de se coordonner et d’investir. L’enjeu pour
les entreprises européennes est donc de parvenir à trouver le bon équilibre dans le cadre des règles connues de la concurrence mondialisée, afin de saisir les opportunités créées par les tensions entre les deux puissances.

Les faibles économies d’échelle dans un marché non-uniforme, associées à l’absence de subventions volontaristes pour permettre l’émergence de certains secteurs, font que l’Europe est souvent considérée comme retardataire par rapport aux autres régions en termes de capacité d’innovation. Contrairement à cette idée reçue, bien trop générale, nous disposons aussi de champions dans certaines niches ; et nous ne manquons surtout pas de talents sur le Vieux Continent. Parmi les introductions en Bourse marquantes de l’année, des sociétés comme Snowflake, Datadog ou Palantir ont ainsi été fondées par des Européens, et notamment par des Français.

Au-delà du secteur des semi-conducteurs évoqué précédemment, nous privilégions aujourd’hui des acteurs européens qui ont atteint, ou sont proches, de la taille critique dans leurs marchés respectifs pour constituer une véritable alternative européenne.

Crise vient du mot Kairos, qui signifie opportunité en latin. De ce point de vue, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine représentent aussi une fenêtre de tir pour certains champions européens que nous souhaitons accompagner.