Genève/France: la fin des exceptions COVID-19. Et après?

Sarah Robert, KPMG

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Fiscalité, droit, attractivité de l’employeur: une situation complexe attend les entreprises genevoises à partir de juillet.

L’accord à l’amiable conclu entre la Suisse et la France durant la pandémie de COVID-19 arrive à échéance le 30 juin 2022. Pendant toute la durée de cet accord, travailler à domicile pour les frontaliers n’a eu aucune incidence sur leur régime d’imposition ni sur leur protection sociale. Il a été considéré que toutes les activités du salarié avaient été effectuées à Genève, avec prélèvement de l’impôt à la source en Suisse sur l’intégralité de la rémunération.

Il y a peu de chances que cet accord soit reconduit, si bien que, à partir de juillet, la Suisse et la France vont reprendre les règles d’imposition en vigueur avant la pandémie. Pour les employeurs suisses, ce retour à la normale soulève de nombreuses questions d’ordre fiscal et juridique et risque de peser sur leur attractivité.  

Pour la plupart des entreprises, le télétravail traditionnel est très bien adapté aux besoins de leur activité et de leurs employés. Mais dans le cas des travailleurs frontaliers français le télétravail va être source de complications, des deux côtés de la frontière.

Options pour les employeurs

Mettre fin au télétravail pour les frontaliers français à partir du 1er juillet 2022 semble la solution la plus simple. Mais l’entreprise qui choisit cette approche risque d’avoir des difficultés à attirer et à retenir les talents sur un marché déjà concurrentiel. D’autant plus que restreindre le télétravail pour un groupe particulier d’employés pourrait être perçu comme une discrimination d’un point de vue juridique si ce mode de fonctionnement est proposé à leurs homologues suisses. Il faut voir comment cette situation va évoluer du point de vue de la loi sur le travail.

Actuellement, les entreprises suisses étudient en urgence les options dont elles disposent face aux restrictions des règles fiscales en vigueur avant la crise sanitaire.

Condenser les heures de travail ou effectuer toutes les heures contractuelles hebdomadaires sur 4 jours plutôt que sur 5 ou sur 9 jours au lieu de 10 jours toutes les 2 semaines à Genève pourrait être une solution pour les frontaliers français. Le jour supplémentaire par semaine ou par quinzaine pourrait être passé en France comme un jour non travaillé. Les implications légales sur le nombre maximum d’heures travaillées par jour et la mise en place possible de ce nouveau modèle de travail nécessitent réflexion.

Certaines entreprises envisagent de créer un bureau annexe dans le canton de Genève, plus proche de la frontière française et donc plus facile d’accès pour leurs travailleurs frontaliers amenés à faire le trajet quotidiennement.

Seuils pour la sécurité sociale et seuils fiscaux

Concernant les assurances sociales, la règle stipule que si le travail effectué dans le pays de résidence (ici la France) représente moins de 25% du temps de travail ou de la rémunération, le salarié reste rattaché au système de sécurité sociale suisse – ce qui est le cas s’il ne travaille pas plus de 1 jour sur 5 en France.

Mais ce principe ne s’applique pas en matière fiscale: le salarié serait imposable sur la rémunération relative à son activité exercée depuis la France dès le premier jour de télétravail à son domicile en France et quel que soit le nombre de jours travaillés en France. De plus, d’après la loi française, l’entreprise suisse devrait nommer un agent fiscal pour l’impôt retenu à la source assurant le transfert de l’impôt sur le revenu français dû sur les jours de travail en France de ses employés.

Impôt à la source français

Non seulement ce processus serait lourd et compliqué à gérer, mais en l’état actuel des choses il est incompatible et passible de sanctions d’après l’article 271 du code pénal suisse, sauf accord express du département fédéral des finances en Suisse. En effet, il est illégal autant pour une personne physique que morale d’effectuer un acte qui relève de la responsabilité d’une autorité publique, comme la collecte de taxe pour une souveraineté étrangère, sauf accord des autorités suisses.

Cette infraction pourrait s’étendre aux employeurs qui fournissent des informations sur le nombre de jours de travail aux autorités fiscales dans des demandes d’information. Toutefois, la chose est difficile à confirmer en l’absence de précisions des autorités fiscales. Face à ces contradictions juridiques, il est recommandé aux employeurs d’être extrêmement prudents et de bien s’informer sur les conséquences du télétravail pour leurs collaborateurs frontaliers.

Des discussions sont en cours entre la France et la Suisse, mais le temps presse pour les employeurs. Les arrangements actuels vont arriver à échéance, dans un contexte de grande incertitude.

Au vu des incidences de l’article 271, les employeurs suisses vont devoir faire preuve de prudence vis-à-vis des règles qu’ils appliquent à leurs travailleurs frontaliers français, en sachant que d’autres cantons que celui de Genève sont concernés. Les deux pays vont devoir trouver une solution pragmatique à long terme en adéquation avec la complexité fiscale et juridique à laquelle sont confrontés les entreprises suisses et les travailleurs frontaliers français dans le monde post-COVID-19. Les autorités frontalières demandent aux autorités fiscales de Berne et de Paris de trouver un accord permanent applicable au canton de Genève et ailleurs. Paris attend des conseils et des recommandations de l’OCDE avant de faire connaître sa position finale.

Dans le même temps, étant donné les délais très courts pour l’instauration de nouvelles règles fiscales et juridiques, les entreprises suisses vont devoir passer en revue leurs règles actuelles sur les travailleurs frontaliers et examiner où agir pour rester en conformité.