Franchement, entre nous…

Tristan Abet, Marigny Capital

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Reconnaissons que la macro échoue à expliquer le comportement du S&P500.

Être économiste de marché c’est s’exposer car c’est faire le lien entre la théorie économique et le comportement des marchés financiers et donc croire en une hypothèse forte: qu’il existe véritablement un lien entre les deux. L’année écoulée a testé une fois de plus cette hypothèse et le résultat n’est pas rassurant pour la profession.

On peut continuer à jouer les experts, à parler de taux d’intérêt, de croissance économique, de taux de change ou encore de risques politiques mais la réalité est que tout cela n’a que peu d’importance. Au moins pour le marché américain qui est pourtant la référence mondiale pour les actions.

Source: Marigny Capital, Bloomberg

D’un point de vue purement statistique l’indice S&P500 a une tendance et oscille autour de cette tendance. Sans faire les tests, sur des données en niveau, on constate de l’autocorrélation au niveau des résidus mais pas nécessairement de l’hétéroscédasticité: l’épisode Covid a représenté un choc énorme qui mériterait l’introduction d’une dummy variable pour l’analyse…

Nous arrêtons ici pour le jargon technique et revenons à des propos plus compréhensibles pour les non-initiés. Ce graphique montre que quel que soit le contexte, que les taux d’intérêts montent ou baissent, que le discours de la Fed soit dovish ou bearish, que les résultats des entreprises soient bons ou très bons, que l’inflation menace la croissance ou pas, rien n’affecte sensiblement le comportement de cette combinaison linéaire de titres qui s’appelle le S&P500. Quelle force! Quel message!

Il y a quelques facteurs qui ont réussi à dévier l’indice de sa tendance, nous en avons identifié seulement trois au cours des 10 dernières années. Notez qu’il s’agit d’interprétations car personne ne peut prétendre savoir réellement les facteurs déclencheurs des mouvements de marchés. La faiblesse de fin 2015 début 2016 pourrait être attribuée au ralentissement prononcé de la Chine, celle de fin 2018 a coïncidé avec un contexte géopolitique Etats-Unis/Chine particulièrement tendu et début 2020, c’est une histoire de pangolin (ou de fuite de laboratoire, on ne sait toujours pas) qui a créé la divergence avec la tendance de long terme.

Bref, le sujet de fond est: l’allocation d’actifs basée sur l’expertise macro a-t-elle encore un sens? ne faudrait-il pas fusionner allocation tactique et allocation stratégique ou du moins, maintenir une exposition actions stable au cours du temps et travailler davantage avec des overlays?

L’analyse est évidemment nécessaire dans les décisions d’investissement mais elle paraît plus utile pour l’allocation thématique voire le stock picking que pour l’allocation d’actifs. Si le S&P500 s’est montré impassible face aux nombreux chocs de 2021 et a continué à enregistrer régulièrement des plus hauts, c’est en partie parce que ses constituants se sont relayés dans l’accomplissement de cette tâche.

Quand une journée l’indice S&P500 enregistre un nouveau plus haut, les 500 valeurs qui le composent n’enregistrent pas de nouveaux plus hauts. Et ce ne sont pas non plus 400 valeurs ou 200 valeurs qui enregistrent des plus hauts mais seulement 59 valeurs (59 est la moyenne pour 2021 et cette moyenne est très stable dans le temps).

L’un des secrets de cette forme d’efficience forte du marché américain est la corrélation très faible de ses constituants qui permet d’absorber les différents chocs qu’il subit. Nous présentons ci-dessous une estimation de cette corrélation réalisée sur 6 mois glissants, elle est en train de retrouver son régime bas. Elle est actuellement inférieure à 0.2 contre 0.3 pour l’Eurostoxx50 ou le Nikkei.

Source: Marigny Capital, Bloomberg

Soyons clairs. Parce que nous restons sensibles à l’analyse fondamentale nous continuons de penser que la première raison de la hausse des actions est la hausse des profits qui dans ce cycle est tout aussi incroyable. Toutefois, nous nous devons de reconnaître que l’analyse fondamentale macro échoue à expliquer le comportement des indices, et notamment celui de l’indice américain. Le S&P500 est juste une série bruitée qui suit une tendance, indépendamment du contexte de taux ou de croissance.

Est-ce que cela peut changer? oui évidemment. Mais en attendant, l’analyse fondamentale nous semble apporter plus de valeur ajoutée à l’allocation sectorielle/thématique qu’à l’allocation d’actifs. C’est d’ailleurs notre axe chez Marigny Capital. Jouer les lanceurs d’alerte en disant «attention les indices pourraient baisser» nous parait moins pertinent que d’expliquer pourquoi il y a un intérêt à monétiser le secteur telecoms ou celui des métaux via un produit structuré dédié.