Trois éléments préoccupants doivent être surveillés.
Les chiffres économiques du mois de janvier apparaissent notoirement volatils en raison d'ajustements saisonniers très significatifs. Par exemple, le consensus sur les prévisions de créations d’emplois pour janvier était de 189'000 (chiffre corrigé des variations saisonnières). Elles se sont finalement établies à 517'000, soit un surcroit de 328'000 unités.
Cela fait beaucoup et a clairement fait les gros titres de l’actualité. Cependant, l'économie américaine a perdu beaucoup d'emplois en janvier, car les personnes embauchées pour les fêtes de fin d'année ont été licenciées en janvier. En janvier 2023, le nombre d’emplois aux États-Unis a en fait reculé de 2,5 millions d'un mois sur l'autre. C’est donc un ajustement saisonnier de +3 millions d’emplois qui a permis d'obtenir le chiffre corrigé des variations saisonnières de 517'000 créations de postes.
Le surcroit de 328'000 emplois n'a donc représenté que 10% de l'ajustement saisonnier. Il est très probable qu'il ne s'agisse que d'un bruit statistique qui s'inversera dans les mois à venir. Toutefois, la surprise provoquée par ces statistiques a suffi à déclencher une hausse des rendements obligataires. Les marges des entreprises étant soumises à la pression haussière des salaires, il est selon nous très probable que celles-ci commencent désormais à réduire drastiquement leurs embauches.
S’agissant des indicateurs contraires, il semble vraiment que les entreprises aient atteint le sommet du marché en 2021 avec leurs émissions d'actions record. Lorsque la liste des entreprises qui tentent de lever des capitaux sur les marchés ne cesse de s'allonger, ce n'est généralement pas un bon signe pour les performances futures des actions. D'un autre côté, la récente pénurie de nouvelles émissions pourrait bien être un facteur de soutien à ces performances.
Le fait que les bénéfices des entreprises, en particulier en Europe, s’avèrent plutôt solides constitue un irritant majeur pour les partisans de la baisse des actions. Bernstein a souligné que les prévisions de BPA (bénéfice par action) à 12 mois du MSCI Europe ne sont qu'à 6% de leur sommet. Cette situation est très différente de l'apocalypse à laquelle s'attendaient les investisseurs et explique en grande partie la résistance du marché des actions européennes. Bernstein a noté que cette baisse était moins importante que la correction moyenne de 12% des BPA européens au cours d'un cycle de ralentissement, ce qui peut être interprété d'une manière ou d'une autre.
Nous préférons la version positive, à savoir qu'après une décennie d'austérité en Europe, les entreprises de la région se sont généralement restructurées et se trouvent en bien meilleure situation qu'elles ne l'étaient au moment de la crise du crédit de 2009, ce qui se traduit par un profil de bénéfices plus résilient. Après avoir subi la restriction du crédit, puis deux crises dans la zone euro, les entreprises européennes savent comment gérer leurs activités dans un environnement difficile. En outre, les entreprises européennes ont manifestement bénéficié de la solidité du dollar: leurs revenus à l’international ont été dopé une fois ceux-ci convertis en euros.
Trois éléments sont cependant préoccupants et doivent être surveillés.
- Les impayés sur les crédits automobiles risqués augmentent aux États-Unis. Cela indique que les consommateurs les plus fragiles commencent vraiment à souffrir des effets de l'inflation et des taux d'intérêt élevés.
- Les banques américaines resserrent leurs normes d’emprunt, notamment s’agissant des cartes de crédit et des prêts aux petites entreprises. Dans l'ensemble, cela exercera une pression baissière sur la consommation et l'investissement.
- Le marché mondial de l'immobilier est sous pression, aussi bien le secteur résidentiel en raison de la hausse des taux que celui de l’immobilier commercial du fait de l'effondrement des taux d'occupation de bureaux. Par exemple, à Manhattan, le taux d'occupation des bureaux n'est encore que de 54% et le taux d'inoccupation a grimpé à 22%, soit près du double de sa moyenne historique. Au cours des prochaines années, il est probable que l'on assiste à une augmentation des dépréciations d’actifs dans le secteur de l'immobilier commercial (même si cela concernera davantage les investisseurs que les banques, car une grande partie de la dette a été titrisée).
Ces trois problèmes indiquent que la politique monétaire de la Fed américaine commence vraiment à pénaliser l’économie réelle. Dans ce contexte, nous devrions désormais être très proches de la fin du cycle de relèvements des taux directeurs. Par conséquent, après une réévaluation des contrats à terme sur les taux des fonds fédéraux, la Fed pourrait finir par réduire ses taux directeurs plus rapidement que le marché ne l'anticipe.