EDF: sauvetage ou menace?

Adam El Cheikh, Kepler Cheuvreux Solutions

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Quels sont les principales raisons et impacts de l’OPA historique de l’Etat français autour d’un mastodonte de l’énergie?

Bruno Le Maire a annoncé mardi 19 juillet que l'Etat lançait une OPA (offre publique d'achat) pour racheter les 15,9% du capital qu'il ne possède pas encore. Quels sont les principales raisons et impacts de cette opération historique autour d’un mastodonte de l’énergie?

EDF, leader de l’électricité dans le monde

EDF, le premier fournisseur d'électricité en France, agit dans la production d'électricité, le négoce et la vente aux particuliers, ainsi que les réseaux de distribution et de transport d'électricité. Il s’agit du plus grand producteur d'électricité au monde avec environ 135 GW de capacité nette installée et environ 625 TWh de production au travers des centrales nucléaires, thermiques, hydrauliques et renouvelables.

Les principaux marchés d'EDF sont la France (>65% de son EBITDA), le Royaume-Uni (13%) et l'Italie (8%). La production d'énergie d'EDF repose en grande partie sur l'énergie nucléaire (73% en 2020), suivie par le gaz naturel (11%), l’hydraulique (9,4%), l'éolien (3,3%), le pétrole (1%) et des parts plus faibles d'énergie solaire, de biomasse, d'énergies renouvelables non spécifiées.

Ce mix énergétique permet à l’entreprise d’afficher une très faible intensité carbone à 51 g/kWh en 2020 (en dessous du seuil d’éligibilité à la taxonomie européenne).

Reconstruire la politique énergétique de l’Europe: le nucléaire, une solution à l’équation énergétique

L’invasion de l’Ukraine a poussé l’Europe à reconstruire dans l’urgence sa politique énergétique en priorisant la décarbonation de l’industrie et l’indépendance vis-à-vis des importations d’énergies russes. Le débat historique entre dénucléarisation versus décarbonation doit désormais s’inscrire dans ce nouveau paradigme.

Pour faire face à cette crise énergétique majeure, l’Union Européenne a lancé le plan RePowerEU qui vise à réduire la dépendance au gaz russe de 2/3 en un an au travers de trois leviers: diversifier les fournisseurs, investir dans les énergies renouvelables et accélérer l’efficacité énergétique. Le nucléaire est alors exclu de la feuille de route. Ce choix ouvre aussi la porte à la relance du charbon, notamment en Allemagne qui ouvre à nouveau ses centrales : une croissance estimée à +10% en 2022 dans le mix énergétique en Europe.

L’AIE rappelle l’importance de l’énergie nucléaire dans la décarbonation notre système énergétique et la nécessité de construire une stratégie d’accélération des projets nucléaires.

EDF, l’acteur en transition obligé de vendre à perte son électricité

Si EDF s’est engagée à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 en réduisant ses émissions, elle subit de plein fouet le contexte inflationniste et le bouclier tarifaire mis en place par les gouvernements pour sauvegarder le pouvoir d’achat des consommateurs. Nommé ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique), ce dispositif contraint l’entreprise à vendre à perte une part (30%) de l’électricité qu’elle produit à ses concurrents: 46,20 euros par kWh (coûts de production estimés à 55 euros) au lieu d’environ 300 euros par kWh, prix négociés sur les marchés. Une perte nette évaluée à 8 milliards d’euros par les experts.

Il s’agit d’un véritable choc pour l’entreprise qui intervient au même moment où des investissements lourds sont nécessaires: maintenance des réacteurs existants et construction de nouveaux réacteurs. La situation d’EDF parait alors très fragile, entre une dette massive (41 milliards d’euros en fin 2021), l’état de son appareil industriel (seule la moitié des réacteurs fonctionnent) et la volonté du gouvernement de lancer un vaste programme nucléaire (construire 6 à 14 nouveaux réacteurs).

Nationalisation d’EDF: sauvetage ou menace?

Face au risque de faillite qui menace EDF, l’Etat a annoncé le 5 juillet sa volonté de nationaliser l’entreprise en rachetant les 15,9% de parts restantes. Un rachat qui ne devrait pas changer la nature d’EDF qui depuis 2004 est devenue une société anonyme. La libéralisation du système de l’énergie, notamment avec le dispositif de l’ARENH, a eu pour cause de fragiliser une industrie lourde pour notre économie.

Pour mettre en place le sauvetage d’EDF, l’Etat a souhaité avoir les mains libres et faire bénéficier à l’entreprise de conditions d’emprunt avantageuses. Plusieurs options se présentent alors, dont le projet Hercule, présenté en 2019, qui plane au-dessus d’EDF pour se libérer de l’ARENH. Ce plan prévoit en autre une scission du groupe en plusieurs entités: nucléaire, renouvelables et hydraulique. Les syndicats craignent de leur côté une dégradation du service public de l’électricité.

Qu’il s’agisse d’un sauvetage ou d’une menace pour la filière au travers de cette nationalisation, le chemin pour sécuriser l’avenir électrique en France est encore long et demande une constance dans les objectifs et les ambitions fixées…