Les banques centrales donnent le tempo

Alain Krief, Edmond de Rothschild Asset Management

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La valse des taux souverains continue au rythme donné par les banques centrales.

Les grandes problématiques demeurent: l’inflation avec un grand I entraîne un ralentissement progressif, parfois annoncé, des injections de liquidité par les grandes banques centrales. Ces dernières tentent de ne pas heurter la croissance à venir tout en prenant en compte les impacts incertains de la pandémie toujours en cours, dans un contexte de croissance robuste pour le moment.

Comment alors aborder 2022? Analyser les problématiques existantes ne suffit pas pour se projeter, il faut aussi prendre en compte le chemin parcouru, les niveaux de marché actuels et comprendre ce qui est intégré dans les valorisations.

UNE ANALYSE DES PRIMES DE RISQUE

La nature même des primes de risque crédit (spreads1) des actifs obligataires permet de nous guider pour effectuer une analyse pertinente et cohérente. Cette prime de risque sur une entreprise intègre avant tout le risque de défaut de l’émetteur, mais aussi d’autres risques qui influent sur le niveau relatif de cette prime: le risque pays, le secteur d’activité, le risque réglementaire, la volatilité (synonyme de degré d’incertitude) et bien sûr le niveau de solvabilité de l’émetteur impacté par de très nombreux facteurs en fonction de son activité propre. Pour ce qui est des entreprises, la remontée des taux de défaut n’est clairement pas d’actualité sachant que la croissance globale attendue pour 2022 est supérieure à 4% pour l’Europe et au-dessus de la croissance potentielle pour les États-Unis. Certes, la croissance fléchit en Chine mais elle devrait être forte dans le reste des pays émergents en 2022. Ce n’est donc pas ce facteur qui influe ou devrait influer négativement sur les spreads. C’est bien l’inflation, déjà clairement visible sur les matières premières, qui inquiète car elle impacte tout simplement le pouvoir d’achat donc la consommation mais aussi sans doute la plupart du temps, les marges des entreprises. Avec elle, les actions des banques centrales s’annoncent désordonnées en matière de changement de politique monétaire jusqu’ici accommodante. De nombreuses banques centrales émergentes ont d’ores et déjà remonté leurs taux sans pour autant avoir pu stabiliser leur devise face au dollar. Une question se pose: l’inflation est-elle vraiment sous-contrôle?

REGARDER LE PASSÉ POUR ANTICIPER LE FUTUR

Les mouvements des marchés de ces dernières semaines voire de ces derniers mois nous ont donné beaucoup d’indications sur ce qui pouvait se passer en 2022. Tout d’abord, on note une franche décorrélation des actifs à spreads, impactés par de multiples facteurs qui ne sont pas clairement liés les uns aux autres. Ce sont les marchés émergents qui ont été touchés les premiers. La force du dollar et le début de l’anticipation d’un tapering2 ont agité les taux et les ont affaiblis. Dans le même temps, le secteur immobilier chinois a connu une crise sévère avec un écartement des spreads de plus de 800bp en cinq mois. Pas grand rapport avec l’inflation mais cela témoigne de la volonté de Pékin de durcir les conditions pour les développeurs afin d’assainir ce secteur. Les élections pourtant encore lointaines au Brésil, le président turc limogeant tour à tour les responsables de sa banque centrale, les tensions autour de la frontière ukrainienne: tous ces évènements ont impacté l’ensemble des dettes d’entreprises émergentes et plus particulièrement les notations High Yield3. A titre d’exemple, le transport brésilien a vu ses spreads s’écarter de 165bp en quelques mois, la Turquie de 220bp en un mois et l’Ukraine de 185bp en un mois également.

Le marché High Yield dans les pays développés a attendu novembre dernier pour commencer à réagir. Les valorisations étaient sans doute trop tendues avec des spreads historiquement bas, lesquels reflétaient bien la fin de la pandémie mais surtout la forte croissance avec des banques centrales encore accommodantes. L’acheteur marginal ayant totalement disparu sur ces niveaux. C’est à la fois l’inquiétude entourant la pandémie avec le variant Omicron, le changement de ton de la Fed qui retire le mot «transitoire» concernant l’inflation et cette inflation présente un peu partout qui ont fait dérailler ce marché. En quelques jours, les spreads des secteurs liés au COVID-19 comme le secteur aérien se sont écartés de plus de 100bp, tout comme ceux des entreprises de chimie aux coûts de transport élevés. On observe aussi que les entreprises notées BB sont délaissées par les investisseurs. Bref, le marché s’est détérioré rapidement, effaçant une bonne partie du rendement enregistré ces derniers mois.

Le secteur bancaire, qui à première vue est totalement décorrélé de l’inflation et devrait bénéficier de la remontée des taux, a vu les spreads des AT1 (additional Tier 1) s’écarter de plus de 100bp en quelques jours suite notamment à des flux vendeurs d’investisseurs asiatiques. Probablement par effet de contagion, le secteur des assurances a aussi souffert. Cela peut paraître étonnant alors que les banques affichent des résultats et des fondamentaux bien plus solides qu’avant le début de la pandémie.

Sur le front des dettes d’entreprises «Investment Grade», les mouvements sur les taux souverains ont fortement impacté les rendements en 2021. Les spreads se sont aussi écartés, plus particulièrement ceux des subordonnées, c’est-à-dire les hybrides ayant subi une baisse importante au cours des dernières semaines.

A la vue de tous ces mouvements relativement forts, on pourrait se demander si les marchés de spreads n’ont pas déjà commencé à anticiper les incertitudes à venir en quelque sorte. Les effets d’un tapering dans un contexte de croissance seront-ils encore plus importants? L’inflation sera-t-elle contenue ou pèsera-t-elle sur les entreprises jusqu’à pénaliser la croissance attendue?

Les déséquilibres qu’a créés cette pandémie vont perdurer parce qu’ils sont différents de ceux observés au cours des années précédentes: une inflation que l’on n’avait pas observée depuis plus de vingt ans, une mobilité surprenante sur le marché du travail, des entreprises à court d’approvisionnement, une accélération phénoménale du e-commerce, etc. Cela prendra du temps pour remédier à tous ces déséquilibres.

Ce qui est sûr, c’est que l’on voit d’ores et déjà des opportunités d’investissement se dessiner sur tous ces marchés de spreads, et même des points d’entrée! Les marchés ont pris de l’avance pour parer à toute incertitude. Le décalage entre ces mouvements et les véritables actions (des banques centrales) qui pourraient impacter ces marchés nous permet de pouvoir saisir ces opportunités en nous basant sur les fondamentaux qui ne devraient pas varier aussi vite. Il s’agit donc d’être prudent à court terme mais agile, sélectif et opportuniste en 2022 sur les actifs à spreads.

 

1 Le spread désigne l’écart entre le taux de rentabilité actuariel d’une obligation et celui d’un emprunt sans risque de même maturité.
2 Le tapering désigne la réduction progressive de la politique d’assouplissement monétaire (quantitative easing) menée par la Fed (banque centrale américaine).
3 Les titres «High Yield» sont des obligations d’entreprises présentant un risque de défaut supérieur aux obligations Investment Grade (ou catégorie investissement) et offrant en contrepartie un coupon plus élevé.

 

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