Section 899

Pierre Pincemaille, DNCA

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Trump transforme la guerre commerciale en offensive fiscale aux lourdes conséquences pour les entreprises européennes.

© Keystone

 

Non, ce n’est pas le titre de la suite du film d’action «Section 99» mais une disposition spéciale glissée dans les 1117 pages du projet de loi pluriannuelle de l’administration Trump, qui est désormais en discussion au Sénat après une adoption sur le fil à la Chambre des représentants. L’histoire ne dit pas si Elon Musk fait référence à la section 899 quand il qualifie le One Big Beautiful Bill «d’abomination répugnante», mais avec un Président qui baisse les impôts comme tout bon républicain et qui en même temps dépense comme un démocrate, cette disposition semble être un levier supplémentaire pour faire basculer les négociations commerciales en sa faveur.

En effet, la validation du texte tel que rédigé par la Chambre des représentants permettrait des mesures de rétorsions fiscales ciblant individus, entreprises ou gouvernements de pays qui imposent des «taxes injustes» sur les produits et services américains.  Ces représailles s’appliqueraient par le biais d’une withholding tax, débutant à 5% et pouvant augmenter de 5% par an jusqu'à un maximum de 20%. Cette disposition renforcerait donc significativement la fiscalité sur de nombreux flux financiers, même indirects, liés à des entités étrangères et pourrait rapporter 116 milliards de dollars sur dix ans, selon le Joint Committee on Taxation.

Un risque fiscal majeur pour les entreprises européennes

Les cibles potentielles de ce projet sont faciles à identifier: les entreprises cotées, résidentes fiscales de pays comme le Royaume-Uni ou la plupart de ceux de l'UE, détenues à plus de 50% par des entités non-américaines. Avec environ 25% des revenus des entreprises du Stoxx600 provenant de la zone américaine, l’impact potentiel sur les actions européennes est évidement négatif. Selon l’analyse de Goldman Sachs, l’application de ce mécanisme induirait une réduction de 1 à 2% des bénéfices par action de l’indice la première année, et jusqu'à 5% sur un horizon de 4 ans.

La déclaration de George Saravelos, responsable de la recherche devises chez Deutsche Bank, illustre bien le malaise (ou l’inquiétude) entourant cette initiative tant le concept de «taxes injustes» est subjectif: «Nous considérons que cette législation ouvre la voie à l’administration américaine pour transformer une guerre commerciale en guerre des capitaux si elle le souhaite». En toile de fond, l’exceptionnalisme américain s’effrite encore un peu plus et les investissements aux Etats-Unis de la part de sociétés étrangères pourraient être remis en question.

Dans le même temps, le gouvernement allemand a annoncé avoir entériné les premières mesures de relance, avec un paquet fiscal à destination des entreprises. Au-delà d’une vue holistique, il est toujours pertinent d’écouter les acteurs de terrain sur le sujet, comme la direction de la banque allemande Commerzbank. Celle-ci a exprimé récemment lors d’une conférence parisienne son optimisme, en affirmant que le changement est engagé et que le gouvernement se concentre sur un plan de 100 jours. Le point de vue de Vonovia est également instructif en raison de sa position dans le paysage immobilier allemand: l'entreprise semble enthousiaste à l'égard du nouveau ministre de la Construction.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater la surperformance des titres exposés à la zone Euro (+20% depuis le début de l’année) face à ceux tournés vers les Etats-Unis (0%). L’écart de performance n’est que le reflet de l’ajustement «protectionniste» des investisseurs, face aux incertitudes persistantes sur les tarifs douaniers et au changement de paradigme outre-Rhin. A ce titre, le remplacement dans l’indice phare EuroStoxx50 de Kering, propriétaire de Gucci (PER  2026 de 19x sur la base du consensus) par le constructeur de chars Rheinmetall (PER 2026 de 39x) est presque caricatural.

Mais au-delà de cet arbitrage entre sociétés domestiques et exportatrices, les petites et moyennes capitalisations de la Zone Euro semblent bénéficier actuellement d’un alignement optimal des planètes: valorisation (PER 2026 de 12x pour le MSCI EMU Small Cap vs. 13,8x pour le MSCI EMU et 20,4x pour le S&P500), plus exposées à leur marché domestique et mieux équipées pour profiter de la hausse des dépenses dans l’infrastructure et la défense. Face à la Section 899, small is Beautiful!

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