
C’est un cliché de l’histoire militaire: il est plus facile de commencer une guerre que de la terminer, et la guerre que l’on déclenche n’est pas toujours celle que l’on mène. Si les récentes ventes massives sur les marchés des bons du Trésor, des actions et du dollar américains sont un indicateur, cet adage pourrait bien s’appliquer aussi aux guerres commerciales.
À mon avis, les États-Unis font face à des ajustements budgétaires et réputationnels, ainsi qu’à des changements dans les flux de capitaux, qui pourraient nuire au dollar et aux autres actifs américains pendant une période qui se compte en années, et non en mois.
Contraction budgétaire
Les droits de douane sont une forme de resserrement budgétaire, ce qui implique un ralentissement de la croissance réelle, des actions plus faibles, des rendements plus bas, des prix du pétrole en baisse et un dollar américain plus faible. Alors pourquoi les imposer? Parce que le gouvernement américain a besoin d’argent. La dette nette du Trésor équivaut à 98% du PIB, soit 30'000 milliards de dollars. Les recettes représentent environ 17% du PIB, les dépenses dépassent les 23%. Le déficit se situe entre 6% et 7% du PIB. Les «vigilantes des obligations» sellent déjà leurs chevaux.
Les coupes budgétaires sont le premier réflexe du gouvernement, mais ni les marchés de paris ni les prévisions de Wall Street ne s’attendent à ce que ces réductions suffisent. Traiter sérieusement les transferts sociaux –Medicare, Medicaid et la Sécurité sociale – est politiquement explosif, et sans doute peu opportun selon moi. Reste la fiscalité. Il n’existe pratiquement aucun appétit pour un compromis bipartisan sur la fiscalité et les dépenses, à l’image du plan de réduction du déficit Bowles-Simpson de 2010 (qui a échoué), dans un Congrès profondément divisé et allergique aux hausses d’impôts. Les droits de douane sont le seul type de taxe qui peut être instauré par décret présidentiel.
Le tarif moyen initial proposé lors du «jour de la libération» – environ 22%-23% – représenterait un resserrement budgétaire estimé à 1,5%-2,0% du PIB. Je doute que cela devienne le taux effectif, mais on pourrait atterrir autour de 12%-15% (un tarif de base de 10% sur tous les pays, avec des taux beaucoup plus élevés pour la Chine). Affaire à suivre. Ce n’est pas l’équivalent d’une TVA, mais ça y ressemble. Je pense que les consommateurs en paieront finalement la majeure partie, comme pour une TVA (l’attribution de l’incidence est complexe). Le resserrement budgétaire n’est pas le seul obstacle à la croissance à court terme; l’incertitude liée aux tarifs semble déjà suffisante pour freiner la consommation discrétionnaire des ménages et les plans d’investissement des entreprises. Une récession n’est peut-être pas inévitable, mais un ralentissement me paraît probable.
Revers de l’ère Reagan
Je vois également des points de tension potentiels en comparant les politiques et les marchés actuels à ceux du passé. Les politiques économiques actuelles et la structure des portefeuilles semblent être l’exact opposé de ce que nous avons vu entre 1980 et 1982, lors du premier mandat de Reagan. À l’époque, les États-Unis ont mené une relance budgétaire massive (baisses d’impôts, hausse des dépenses militaires) et un resserrement monétaire encore plus massif (Volcker). Les actions et les obligations américaines étaient peu détenues par les investisseurs étrangers après une décennie d’inflation dans les années 1970. Une fois la logique des «Reaganomics» comprise, les capitaux ont afflué vers les États-Unis, et le dollar a progressé pendant quatre ans, jusqu’à un sommet en 1985.
Aujourd’hui, la situation est inversée. Les actions américaines sont largement détenues par l’étranger (environ 20%), tout comme les bons du Trésor (33%), et les actions étaient valorisées sur la base d’un optimisme marqué. La politique budgétaire impose aujourd’hui la plus forte hausse d’impôts depuis 1968, et les contrats à terme sur les Fed Funds prévoient une baisse de 75 à 100 points de base cette année. Si la première combinaison a propulsé le dollar, peut-être que l’inverse le fera chuter.
Team America change de marque
Enfin, les actions américaines et le dollar pourraient faire l’objet d’une réévaluation à la baisse par les investisseurs non-américains, qui pourraient exiger une prime de risque plus élevée. Team America est en train de changer d’image. Comme l’a écrit Leo Lewis dans le Financial Times depuis Tokyo (deux des plus grands pôles de capitaux hors des États-Unis), la mondialisation, l’ordre international fondé sur des règles et la Pax Americana sont en déclin. Le mercantilisme, l’isolationnisme et le protectionnisme prennent le relais. Les investisseurs étaient habitués à une Réserve fédérale agissant comme stabilisateur de volatilité. Désormais, les politiques de la Maison-Blanche contribuent à l’instabilité – et cela pourrait durer. Des primes de risque plus élevées semblent donc justifiées. Il en va de même pour des changements dans les flux d’investissements et la répartition des portefeuilles.
À mon avis, plusieurs secteurs pourraient devenir plus vulnérables à une baisse des investissements:
- Biotechnologies et pharmacie: les coupes du Department of Health & Human Services dans la recherche, et les tensions entre l’administration et les universités de l’Ivy League, pourraient ralentir ou réduire la recherche fondamentale, affaiblissant la compétitivité de l’industrie pharmaceutique américaine sur le long terme. La R&D des entreprises se concentre sur le développement de médicaments, pas sur la découverte. Les universités étrangères recrutent déjà les meilleurs talents académiques américains.
- Défense: les fabricants d’armement américains ne seront probablement pas le premier choix dans le réarmement de la zone euro, car les États-Unis peuvent désormais être perçus comme peu fiables.
- Énergie: la relance du charbon pourrait entraîner l’exclusion des services publics américains des portefeuilles bas carbone de nombreux investisseurs institutionnels européens (et de plus en plus asiatiques).
- Banque, services juridiques et technologiques: les gestionnaires d’actifs et entreprises étrangères pourraient mener des évaluations de risques concernant leurs prestataires américains (garde, IT, juridique) et chercher des alternatives locales.
- Tourisme: à l’approche de la saison estivale, les arrivées de touristes étrangers sont déjà en baisse.
Si vous êtes un investisseur non-américain et que vous détenez déjà des actifs américains, vous envisagez peut-être d’en vendre une partie — ou, du moins, de ne pas en racheter dans l’immédiat. Le sentiment des investisseurs mondiaux semble passer d’un biais favorable aux États-Unis, fondé sur une rentabilité et une croissance exceptionnelle, à un attentisme lié à l’incertitude, voire à une troisième phase de rééquilibrage: «Sell America». Peut-être que l’IA et la robotique sauveront la trajectoire de productivité américaine. Mais à mon avis, le soutien budgétaire dont l’économie américaine a bénéficié depuis dix ans touche à sa fin.
Du point de vue des flux de portefeuille et du mix de politiques, je suis baissier sur le dollar dans ce monde. Ce n’est pas une analyse de guerre commerciale, mais une analyse des flux financiers. Et la guerre qui se profile pourrait être bien différente, et bien plus coûteuse.