En mai, Powell fait ce qui lui plait

Eric Vanraes, Eric Sturdza Asset Management

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Chronique des taux d’ESAM (Eric Sturdza Asset Management).

 

Il y aura un avant et un après 2 avril

Il y a un peu plus d’un mois, le «Liberation Day» devait révolutionner l’économie américaine. Nous avons eu droit en retour à un chaos indescriptible sur les marchés. Nous croyons toujours que Donald Trump a soulevé de bonnes et parfois de très bonnes questions. Le problème réside dans les remèdes qu’il préconise qui sont pour le moins discutables. Il veut s’attaquer à très juste titre au sujet de l’endettement de l’état et sur ce point, il a raison de dire que l’administration Biden, sous la houlette de Janet Yellen, a considérablement diminué la duration moyenne de la dette souveraine en empruntant massivement à court terme. Par conséquent, le Trésor devra faire face à de nombreuses échéances au cours des prochains 24 mois alors qu’il pourrait rencontrer de grandes difficultés à les refinancer, surtout s’il souhaite éviter de réduire à néant le bon travail de la Fed qui a réduit la taille de son bilan (passée de 8,9 à 6,7 trillions de dollars entre avril 2022 et aujourd’hui). Le refinancement de la dette dépendant notamment du niveau du 10 ans américain, l’objectif de Trump et de Scott Bessent est par conséquent de faire baisser coûte que coûte le taux 10 ans sous le niveau de 4%.

Les Cassandre se mettent déjà à envisager un défaut des Etats-Unis sur leur dette.

Nous vivons un véritable «COVID économique», que Trump pourrait payer cher à l’occasion des mid-terms. Il faudrait qu’il parvienne d’une part à ramener l’inflation vers des niveaux soutenables et d’autre part à gérer l’épée de Damoclès brandie par les Chinois. Une épée à 770 milliards de dollars d’emprunts du Trésor, soit 2,2% de la dette américaine, qu’ils peuvent vendre - ou menacer de vendre - à tout moment et faire exploser les taux longs. Les Cassandre se mettent déjà à envisager un défaut des Etats-Unis sur leur dette. Nous n’en sommes pas là du tout mais le blanc-seing donné par les investisseurs internationaux au Trésor US n’est pas éternel. La grande différence entre la pandémie COVID de 2020 et ce «COVID économique» actuel réside évidemment dans les perspectives d’inflation. Dans les deux cas, la récession est à craindre mais si en 2020, elle était assortie d’un effondrement de l’inflation (breakeven des TIPS 30 ans à 1,5%), aujourd’hui un rebond de l’inflation entre 3% et 4% n’est pas exclu. Dans ce contexte, comment va réagir le FOMC demain soir?

Powell-Warsh, le combat des chefs?

Nous avons tous vu et entendu les critiques formulées par le président américain à l’encontre de Jerome Powell. Toutefois, comme souvent avec Donald Trump, les critiques initiales à l’emporte-pièce sont suivies d’un propos plus nuancé. Aux dernières nouvelles, il ne menacerait plus Powell de limogeage et souhaiterait ne pas (trop) s’attaquer à l’indépendance de la Fed. Toutefois, rien ne l’empêcherait d’annoncer dès maintenant que le patron de la Fed ne sera pas reconduit à son poste dans un an et qu’il nommera untel pour lui succéder. Et pendant un an, untel s’inviterait dans les médias pour critiquer à tout bout de champ, surtout les jours de FOMC, les faits et gestes de Jay Powell. Ce fameux untel a un nom: Kevin Warsh.

Jim Bianco pose la bonne question: si cela devait arriver, les marchés continueraient-ils d’écouter Powell? Est-ce qu’ils préféreraient se détourner des discours officiels pour se positionner en fonction des opinions émises par Warsh? Ce qui est sûr, c’est que demain soir, ce sera bien Jay Powell qui prendra la parole pour annoncer vraisemblablement un statuquo. Le biais devrait être dovish puisque les bonnes nouvelles du côté de l’inflation (Core PCE plutôt encourageant à 2,6% mercredi dernier) sont assorties de chiffres macros montrant une détérioration de l’économie US. Les chiffres de l’emploi de vendredi, plutôt rassurants avec 177'000 créations d’emploi et un taux de chômage stable à 4,2%, sont sans doute l’arbre qui cache la forêt. Un premier pas dans la «bonne direction Trumpiste» serait un abandon pur et simple du Quantitative Tightening, ce qui est la seule vraie incertitude entourant ce FOMC. Nous serions même tentés de croire que si seulement Donald Trump n’avait pas si ouvertement et caricaturalement critiqué Powell en exigeant des baisses de taux (en félicitant au passage la BCE qui, elle, n’hésite pas), la Fed aurait peut-être agi en ce sens dès demain soir. Malheureusement, dans ce contexte, Jerome Powell ne peut guère entériner un geste accommodant, ce qui serait vu par le monde entier comme une capitulation voire une soumission vis-à-vis du pouvoir en place. Rendez-vous demain soir pour un nouvel épisode de la saga «Powell contre la Maison Blanche», peut-être le dernier opus sans Kevin Warsh en invité-surprise!  

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