Le pic de l’or dépend du retour au libre échange

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

Les signes concrets d’une récession aux Etats-Unis renforceront la hausse de l’or, selon John Reade, du World Gold Council.

 

L’or ne cesse de surprendre à la hausse. Le prix de l’once a doublé en cinq ans pour dépasser les 3500 dollars ces derniers jours. Il a même sextuplé en 20 ans. Au premier trimestre, la demande d’or s’est accrue de 1% à 1206 tonnes par rapport à l’année précédente, selon le rapport du World Gold Council. Pendant ce temps, l’offre est restée inchangée. L’envol du marché des ETF sur l’or est l’élément le plus marquant des derniers mois, avec une hausse de 170% sur base annuelle pour atteindre 226 tonnes, selon le rapport. Les banques centrales continuent à être acheteurs nets de métal jaune pour leur 16e année consécutive, mais à un rythme inférieur de 21% par rapport à l’an dernier. La bijouterie souffre de la hausse du prix de l’once, mais en valeur la consommation s’est accrue de 9% à 35 milliards de dollars. John Reade, Stratège principal du marché, EMEA du World Gold Council, répond aux questions d’Allnews:

A quelle autre époque de l’histoire ressemble l’actuel cycle haussier de l’or?

Le cycle actuel me rappelle la hausse qui a conduit au record de janvier 1980 à 850 dollars l’once. J’emploie cette comparaison parce qu’elle s’appuie sur le parallèle avec des tensions géopolitiques et les inquiétudes sur l’économie mondiale. Mais nous ne sommes pas dans la même situation. Ce sommet de 850 dollars n’a duré que deux séances. Il s’agissait de la fin du mouvement haussier. Ces 12 derniers mois, l’or s’est apprécié en parvenant à chaque fois à conserver ses gains précédents. Depuis l’entrée au deuxième trimestre, le cycle haussier semble même plus violent. Cela explique sans doute la correction en cours, qui a succédé au plus haut de 3500 dollars, et qui s’avère plus profonde que précédemment. Il reste à voir si ce dernier record sera à nouveau dépassé. 

La demande d’ETF augmente rapidement. Dans quels pays les ETF sont-ils les plus demandés?

La demande d’ETF touche toutes les régions, l’Amérique du Nord, l’Asie et les autres. En tonnes, la plus forte augmentation provient d’Amérique du Nord mais en pourcentage elle est plus forte en Asie, où elle se concentre en grande partie sur la Chine continentale. 
Cette augmentation de la demande chinoise d’ETF s’est accélérée et s’est poursuivie en avril. Après l’équivalent de 34,5 tonnes en Asie au premier trimestre, nous avons enregistré près de 70 tonnes durant les quatre premières semaines du deuxième trimestre. Au-delà de la demande robuste du premier trimestre, la demande asiatique d’or s’impose comme le thème majeur du deuxième trimestre, tant à travers des ETF que des investissements en or physique.

«A ce jour, le risque de droits de douane sur l’or est très mince».

La première préoccupation de l’année porte sur les droits de douane. Existe-t-il un risque de tarifs sur l’or?

A ce jour, le risque de droits de douane sur l’or est très mince. L’or physique est exclu de droits de douane aux Etats-Unis bien que d’autres produits en or sont touchés, à commencer par les bijoux en or et probablement les petites barres d’or fabriquées et raffinées par exemple en Susse. Il en résultera sans doute des changements de comportement à ce sujet aux Etats-Unis. 

Le moteur de la hausse est en partie liée à l’incertitude économique et politique. N’est-ce pas étonnant que l’endroit qui concentre l’incertitude, les Etats-Unis, se traduise par une augmentation de la demande d’ETF est modeste en pourcentage?

L’incertitude porte sur les Etats-Unis, mais au sein des Etats-Unis  elle est très polarisée entre les supporters de Donald Trump et ceux d’autres partis. Nous pensons que la demande d’or, physique ou à travers des ETF, est plus forte au sein des électeurs républicains. Nous avons vu lors du premier mandat de Donald Trump que la demande d’or physique avait diminué quand il était au pouvoir parce que ses soutiens pensaient qu’il rendrait l’Amérique plus grande. Je pense que cela joue un impact aujourd’hui. 

Un autre aspect mérite d’être signalé à propos des Etats-Unis. Nous attendons encore l’impact effectif des droits de douane sur l’économie américaine. Les sondages sur les attentes des entreprises sont faibles mais des données économiques plus solides montrent que l’activité demeure robuste. Je m’attends à ce que les acheteurs américains d’or réagiront à l’affaiblissement de l’activité économique et à la hausse du chômage, quand les entreprises réduiront leurs investissements et leurs prévisions de bénéfices. Cela pourrait déclencher une réponse encore plus forte sur le marché de l’or.

L’or profite-t-il du risque de récession?

L’or en profite mais il en bénéficie encore davantage une fois que ce risque devient une réalité. 

Les banques centrales sont acheteurs nets. Lesquelles achètent et lesquelles vendent?

Toutes les banques centrales qui achètent de l’or viennent des pays émergents au premier trimestre. Les plus grands acheteurs sont la Pologne, un acheteur significatif depuis plusieurs années, la Banque populaire de Chine, le Kazakhstan et la République tchèque. Les rares banques centrales qui ont réduit leurs avoirs sont l’Ouzbékistan, la Russie et le Kirghizstan. Je précise que l’Ouzbékistan et le Kirghizstan achètent leur or auprès des producteurs et elles décident parfois d’en vendre une partie lorsqu’elles ont le sentiment que le prix est élevé. Dans le cas de la Russie, le changement est modeste. 

Comment la discussion sur un possible accord de Mar-a-Lago influence-t-il le marché de l’or ?

Les banques centrales sont devenues des acheteurs nets d’or après la crise financière. Elles ont massivement accru leurs achats après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions contre la banque centrale russe. La source des inquiétudes concerne l’avenir du système financier américain et la « militarisation» (weaponization) du dollar américain. Tout ce qui suggère que les Etats-Unis accordent un intérêt ou non aux pays qualifiés d’hostiles renforce les préoccupations des banques centrales sur le besoin de détenir des dollars. Elle renforce le besoin d’or de ces institutions. En parallèle, des pays longtemps qualifiés d’alliés des Etats-Unis ne sont plus aussi sûrs de l’être qu’avant.  Des pays qui n’achetaient pas d’or peuvent maintenant être tentés par des achats. Depuis l’arrivée de Donald Trump, les détenteurs de dollars et en particulier de Bons du Trésor s’inquiètent pour leurs actifs.

La demande d’or s’est accrue de 1% en tonnes et l’offre est stable. Est-ce que les groupes miniers découvrent encore de l’or?

L’industrie minière a présenté des statistiques de production records en 2024 même si l’augmentation est modeste par rapport à l’année précédente. Je m’attends à ce que l’industrie puisse maintenir la production au même niveau et qu’elle découvrira suffisamment d’or pour maintenir leur niveau de production. Les groupes miniers n’ont pas tiré profit de la hausse de l’or pour accroître leur production. La question porte moins sur la découverte d’or que celle de l’obtention des permis de construction de nouvelles mines ainsi que celle du financement de projets qui engagent les producteurs sur de longues périodes. Nous assistons à un plafonnement de l’industrie minière. 

Quels seront les signes d’un pic du cours de l’or?

Il est difficile d’identifier un pic de marché. Parmi les facteurs qui pourraient réduire l’attrait de l’or, je citerais le retour à des conditions stables pour le commerce international. Cela pourrait venir d’un accord de libre échange international qui éliminerait les droits de douane et qui se traduirait par un un retour à un système de coopération internationale. Il n’est pas impossible que nous puissions arriver à un tel accord, mais probablement pas à court terme. Je crains que l’environnement d’incertitude économique et géopolitique se maintiendra. C’est pourquoi j’ai de la peine à croire que le sommet de 3500 dollars ne sera pas dépassé, surtout si l’économie américaine entrait en récession. Le risque vient du fait que la crainte de tarifs empêchera les acteurs économiques de consommer et d’investir. Un ralentissement est déjà programmé.

A lire aussi...