Le trust n’a besoin en droit suisse que de nouvelles règles civiles, pas fiscales.
Le 12 janvier 2022, suite à de nombreuses interventions parlementaires et à une longue préparation, le Conseil fédéral a ouvert une consultation sur l’introduction du concept juridique du trust en droit suisse. Selon le rapport explicatif (p. 2), «l'objectif est d'offrir aux résidents et entreprises en Suisse un véhicule juridique flexible, fiable et approprié pour la détention de leur patrimoine ainsi que de créer de nouvelles opportunités d'affaires pour la place financière.»
Pour ceux qui ne les connaîtraient pas, les trusts sont des patrimoines remis par un constituant (ou settlor) à un trustee pour qu’il les gère en faveur de bénéficiaires, éventuellement sous le contrôle d’un protecteur. Toutes les places financières d’importance connaissent cette institution, sauf la Suisse. Celle-ci reconnaît cependant depuis 2007 les trusts soumis à un droit étranger. Depuis, près de 3’000 personnes travaillent dans l’industrie des trusts en Suisse et nombre de comptes bancaires sont détenus au nom de trusts.
Pourquoi alors introduire un trust de droit suisse? Surtout pour ne pas dépendre de règles et de jurisprudences étrangères. Et pour donner confiance à ceux qui cherchent un instrument de droit suisse pour régler leur succession autrement. En effet, le droit successoral prévoit la transmission et le partage immédiats de tout le patrimoine, ce qui n’est pas toujours souhaité, et la constitution de fidéicommis de famille est prohibée par le code civil. Une analyse d’impact réalisée en 2019 a estimé selon son scénario le plus réaliste un surplus de 139 millions de francs de valeur ajoutée et de 57 millions de recettes fiscales si l’on pouvait créer des trusts suisses.
La notion de trust est associée par certains à des agissements douteux ou à de la soustraction fiscale. Les standards internationaux, que la Suisse applique, ont mis fin à ces reproches. Les banques identifient depuis longtemps toutes les parties prenantes d’un trust, dans le cadre de leurs obligations de lutte contre le blanchiment d’argent. Au travers de l’échange automatique de renseignements, elles communiquent aussi aux autorités fiscales de résidence de ces personnes les revenus du trust, même quand ceux-ci ne sont pas imposables. Et en Suisse, les trustees sont depuis 2020 soumis à autorisation de la Finma et surveillés par des organismes dédiés. Un rapport fédéral de 2017 constatait déjà: «la vigilance des intermédiaires financiers à leur égard est particulièrement forte, ce qui a pour conséquence que les trusts constituent, parmi les entités juridiques étrangères, la catégorie qui représente le risque le moins important» (cf. rapport explicatif, note 141 p. 47).
Reste le traitement fiscal des trusts en Suisse, qui est réglé depuis 2007 par voie de circulaire, à la satisfaction tant des autorités de taxation que des contribuables. Dans ce contexte, on distingue trois types de trusts:
- les trusts révocables: le constituant n’a pas définitivement renoncé à son patrimoine et continue donc d’être imposé comme s’il le détenait en direct;
- les trusts irrévocables à intérêts fixes: le constituant a établi des droits fermes et réguliers en faveur des bénéficiaires, qui sont alors imposés comme des usufruitiers;
- les trusts irrévocables discrétionnaires: le constituant se dessaisit de son patrimoine et fixe un cadre au trustee pour les distributions que celui-ci pourra décider, ou non, de verser aux bénéficiaires, qui n’ont alors que des expectatives et ignorent parfois même tout de l’existence du trust ou de leur qualité de bénéficiaires.
Comme le constate le rapport explicatif (p. 67), la constitution de ce dernier type de trust «présente peu d’attrait pour les personnes domiciliées en Suisse, puisque les valeurs patrimoniales qui y sont apportées continuent à leur être imputées sur le plan fiscal». A leur décès, seuls les bénéficiaires deviennent imposables, sur les distributions qui leur sont faites.
Contre l’avis des cantons et de la branche, le projet de loi voudrait modifier ce dernier régime et rendre le trust imposable comme une fondation lorsqu’au moins un bénéficiaire ou éventuellement le constituant est résident suisse (en les rendant en plus solidairement responsables de l’impôt!). Ceci même si l’administration reconnaît que cette option «convient moins bien […] s’agissant de l’attractivité de la place économique, des frais administratifs et de la praticabilité»! (cf. rapport explicatif, p. 80)
Il faut se rendre compte que traiter un trust comme une fondation implique une triple imposition: droit de succession ou de donation lors de la constitution, impôt sur le bénéfice au sein de la fondation, puis impôt sur le revenu lors d’une distribution, même du capital de départ! Au lieu de «nouvelles opportunités d'affaires», un tel traitement fiscal réduirait à néant l’intérêt du projet et ferait même fuir de nombreux trusts, trustees, constituants et bénéficiaires établis en Suisse, pour une perte nette de valeur ajoutée et de recettes fiscales. Il vaut donc mieux ne rien toucher aux aspects fiscaux.