Urgences climatiques et sociales: vers une révolution de l’enseignement de la finance?

Kedge Business School

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Face aux défis économiques, climatiques et sociaux du XXIe siècle, un nouveau consensus semble se dessiner concernant la nécessité d’une refondation, constate le professeur Thomas Lagoarde-Segot.

A l’occasion de la sortie prochaine du manuel Ecological Money and Finance. Exploring Sustainable Monetary and Financial System (Springer Nature, 659 p.), Thomas Lagoarde-Segot, professeur d’économie et de finance internationale à Kedge Business School et directeur de la commission économie de SDSN France, explore les pistes d’une refonte de l’enseignement de l’économie et de la finance face aux urgences climatiques et sociales. Il répond à trois questions pour présenter cette parution internationale, fruit d’un travail collectif de 4 ans.

1/ Quel est votre constat sur les fondements de l’enseignement de la finance et du système monétaire actuel?

L’enseignement de l’économie et de la finance semble toujours figé dans une vision héritée des années 1990. La discipline financière peine à intégrer les nouvelles approches macroéconomiques et monétaires, et plus globalement les questions sociétales dans le champ de ses enseignements. Mais face aux défis économiques, climatiques et sociaux du XXIe siècle, un nouveau consensus semble se dessiner concernant la nécessité d’une refondation.

En 2018 déjà, l’Institut Veblen publiait les résultats d’une grande enquête menée auprès de 200 universitaires français et intitulée Dix ans après la crise financière de 2008, comment enseigne-t-on la finance? Malgré le bouleversement radical qu’avait constitué la crise des subprimes, cette enquête pointait du doigt qu’une décennie plus tard, on enseignait toujours la finance de la même façon…

Puis, en 2022, le Shift Project publiait son grand rapport Climat Sup Finance. Former pour une finance au service de la transition, remis au ministre de l’Economie. Ce rapport appelle sans ambigüité à faire évoluer rapidement la formation des étudiants et professionnels au prisme des nouveaux enjeux climatiques et du développement durable.

2/ Pourquoi est-il urgent de revoir cet enseignement?

La finance est le cerveau de l’économie. Pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C d'ici 2100 et atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD), nous devrons donc, aussi, faire évoluer le système financier. Durant les dix dernières années, certains financiers ont certes tenté de verdir les modèles financiers existants, mais sans s’interroger sur leur pertinence. Mais cette approche est de toute évidence une illusion perdue. Certaines études indiquent par exemple que seuls 0,5% des actifs «verts» seraient réellement alignés sur les objectifs des accords de Paris. Ce n’est pas étonnant puisque le contexte actuel est fondamentalement différent de celui des années 1970 où sont apparus les grands préceptes financiers toujours enseignés aujourd’hui.

Pour traiter les nouveaux enjeux climatiques, naturels et sociaux, nous devrons repenser en profondeur nos hypothèses, nos modèles, les outils et s’interroger sur leur finalité, à tous les échelons, du niveau micro au niveau macroéconomique. Il faut apporter un regard neuf sur le crédit, la monnaie, les taux d'intérêt, le commerce international, la finance internationale, la macro-modélisation, la gouvernance d’entreprise, les processus de sélection et d’évaluation des investissements… dans la perspective des ODD. Bref, la durabilité requiert une nouvelle «révolution scientifique» en économie et en finance.

3/ Comment y arriver?

C’est une tâche formidable qui ne pourra être remplie qu’en multipliant les partenariats internationaux pour le développement durable, comme l’indique l’ODD 17. Le réseau SDSN France, créé par Kedge Business, CY Paris Université, et Paris Sciences et Lettres en 2018, et placé sous l’égide des Nations unies, en est un bon exemple. Il nous a permis de constituer une commission d’experts académiques et professionnels. Dès nos premières réunions, nous avons décidé de construire un nouveau manuel qui combinerait, comme le recommandait le rapport de l’Institut Veblen, les approches "macroscopiques" (pour refonder l'enseignement de l’économie financière et monétaire grâce aux sciences sociales) et «microscopiques» (pour analyser rigoureusement les nouveaux acteurs et instruments financiers écologiques).

Pour mener à bien ce projet nous avons aussi eu la chance de pouvoir nous appuyer sur le Programme Grande Ecole de Kedge BS, qui nous a permis de transformer le cours fondamental d’économie de 1ère année en un cours de macroéconomie Ecologique (une première dans le monde des grandes écoles). Ce cours a constitué la clé de voute de ce travail, auquel sont venues se greffer les contributions de près de quinze spécialistes tous en poste dans les grandes écoles et universités françaises, pour produire ce manuel de près de 700 pages, 24 chapitres, qui sera aussi publié en français en 2024.

 

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