Un nouveau chapitre s’ouvre

Matt Miller, Capital Group

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Les États-Unis adoptent une nouvelle approche dans leurs échanges commerciaux avec la Chine.

 

Les États-Unis sont sur le point d’adopter une approche fondamentalement nouvelle dans leurs échanges commerciaux avec la Chine. Alors que la puissance économique de l’Empire du Milieu croît et que ses ambitions mondiales se précisent, un nouveau consensus émerge à Washington: une approche plus réaliste du commerce et de la géopolitique est nécessaire.

C’est dans ce vaste cadre que, conformément à la rhétorique de sa campagne électorale, le Président Trump souhaite remettre en cause les accords en vigueur. Son style de négociation atypique et musclé prélude à une guerre commerciale sans merci qui pénaliserait les deux parties. Le contexte actuel des relations entre les États-Unis et la Chine laisse entrevoir l’avènement possible d’un nouvel équilibre commercial pour ces prochaines années.

«Il n’est pas impossible que débute une troublante période de représailles
qui pourrait déconcerter les marchés et acteurs économiques.»

En parallèle, comme chacun sonde l’autre et met à rude épreuve sa motivation et ses objectifs ultimes, il n’est pas non plus impossible que débute une troublante période de représailles qui pourrait déconcerter les marchés et acteurs économiques pris entre les tirs croisés.

Et ensuite?

Les droits de douane annoncés le 1er mars seront vraisemblablement de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium, mais les détails seront finalisés très prochainement. Cette décision, qui affecte de nombreux pays et qui a été initiée par le gouvernement Trump pour assurer la viabilité de l’industrie américaine de l’acier et de l’aluminium, n’est toutefois qu’un début. Si les fameuses surcapacités de la Chine dans l’acier sont la cible de ces droits de douane mondiaux, il est quasiment certain que d’autres mesures seront prises ces prochains mois pour viser directement ses pratiques dans le domaine commercial notamment. Il pourra par exemple s’agir d’intenter de nouvelles actions par le biais de l’Organisation mondiale du commerce, d’introduire des droits de douane supplémentaires, d’imposer de nouvelles exigences garantissant la réciprocité des investissements et/ou d’appliquer de nouvelles restrictions en matière de visa.

L’aspect le plus important à surveiller est l’enquête au titre de la section 301 de la loi américaine sur le commerce (Trade Act), dans le cadre de laquelle Donald Trump clamera que le vol de propriété intellectuelle perpétré par la Chine depuis une dizaine d’années s’élève à 1000 milliards de dollars, en conséquence de quoi il imposera une série de mesures encore indéterminées.

«La stratégie à long terme de la Chine est de créer une économie
plus équilibrée, plus autonome, et moins tributaire des sociétés étrangères.»

Comment la Chine réagira-t-elle? Personne ne le sait avec certitude, mais elle fera preuve d’une grande habileté, en ciblant ses mesures de rétorsion pour causer du tort aux législateurs influents et aux circonscriptions stratégiques des États-Unis. La stratégie à long terme de la Chine est de créer une économie plus équilibrée, plus autonome, et moins tributaire des sociétés étrangères dans des secteurs d’activité clés. Elle veut également rivaliser dans de nombreux secteurs d’avenir, des ambitions qui contribuent à la perception que Washington se fait aujourd’hui du problème chinois. Par exemple, la Chine investit massivement dans le développement de son propre secteur des semi-conducteurs et dans l’intelligence artificielle. Même si cela ne se fera pas du jour au lendemain, cela inquiète les responsables politiques et chefs d’entreprise américains, qui perçoivent cela comme une menace.

Les entreprises chinoises ont également été actives sur le front des acquisitions dans le monde, procédant à des rachats de concurrents ou à la création de joint-ventures dans l’espoir d’accéder à des droits de propriété intellectuelle stratégiques. Les gouvernements des pays occidentaux ont récemment protesté, revendiquant des questions de sécurité nationale, ce qui a contrecarré les transactions proposées par des sociétés chinoises.

Relâchement des liens économiques

L’ouverture de ce nouveau chapitre signifie que certaines des synergies découlant de nombreuses années d’intégration économique et d’accords commerciaux pourraient être remises en cause. Il est possible que certains liens se desserrent sur le plan commercial et des investissements, voire que des chaînes logistiques établies de longue date soient démantelées. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir pour l’investissement? Les fabricants des produits les plus exportés d’Amérique vers la Chine (avions, produits agricoles, semi-conducteurs utilisés dans les appareils électroniques, mais aussi voitures et machines industrielles) pourraient devenir la cible de représailles de la part de Pékin, du moins à court terme. Rien d’étonnant donc à ce que les actions des sociétés industrielles et des transports aient reculé en Bourse depuis l’annonce. Les producteurs américains de soja et d’autres denrées agricoles, qui exportent aujourd’hui énormément vers la Chine, pourraient aussi être visés.

«Malgré tout, les deux pays présentent des interdépendances
qui pourraient tempérer leurs ardeurs.»

Après les allègements d’impôts, les échanges commerciaux pourraient devenir la grande priorité du gouvernement américain. Ces prochains mois, le durcissement du ton à l’égard de la Chine pourrait d’ailleurs recueillir plus de soutien des deux partis que ceux-ci voudront bien l’admettre. Il sera également utile de surveiller la progression, à Washington, du courant de pensée selon lequel le niveau actuel d’intégration économique avec la Chine nuit aux intérêts économiques et de sécurité à long terme des États-Unis. Même en l’absence de «découplage» des deux économies, un large consensus est en train d’émerger: le temps est venu de remettre en cause les politiques mercantilistes de la Chine, si bien que les négociations pourraient s’envenimer dans les semaines et les mois à venir.

Malgré tout, les deux pays présentent des interdépendances qui pourraient tempérer leurs ardeurs. En 2017, le déficit commercial américain avec la Chine s’est établi à 376 milliards de dollars soit 130 milliards de dollars à l’export et 506 milliards de dollars à l’import). Une grande partie de ces importations concernent des industriels américains qui ont installé des chaînes de montage et des usines en Chine, et dont l’activité dépend de ces chaînes logistiques. Reste également à voir si les géants technologiques américains renonceront à investir massivement dans la R&D en Chine.

Matt Miller est économiste politique et conseiller en affaires corporatives chez Capital Group. Son rôle, comprennent l’analyse des tendances politiques américaines qui influent sur les décisions d’investissement et le soutien des efforts de communication et d’engagement de Capital Group Anciennement conseiller principal chez  McKinsey & Company, il a été conseiller principal au Bureau de la gestion et du budget de la Maison-Blanche et membre de la Maison-Blanche à titre d’adjoint spécial du président de la Commission fédérale des communications.