Scepticisme envers la finance durable: justifié ou exagéré?

Virginie van Doorn, Conser

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Les 30 dernières années ont montré la complexité des questions de durabilité. De fait, la tentation est grande de privilégier les solutions simples – voire simplistes.

Au cours de ces derniers mois, de nombreuses voix se sont élevées pour questionner l’impact de la finance durable. Si certains attirent, à raison, l’attention des investisseurs sur le risque de Greenwashing, d’autres vont jusqu’à affirmer l’absence d’effets réels des critères d’investissement ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) sur l’économie réelle.

A la veille du 13e GFSI – Geneva Forum for Sustainable Finance organisé par Voxia –, un événement qui chaque année rassemble plus de 400 spécialistes du secteur, tentons d’y voir un peu plus clair.

La poule aux œufs d’or

Selon le Rapport sur l’investissement durable 2022 de Swiss Sustainable Finance, le secteur de l’investissement durable a bénéficié en 2021 d’une croissance dynamique de 30% pour atteindre 1'982,7 milliards de francs en Suisse uniquement. Lorsque l’on considère la compétition qui règne sur le marché de l’investissement, on comprend aisément l’importance pour chaque Asset manager d’être présent sur ce segment, en particulier pour attirer l’épargne des investisseurs institutionnels et des «millénial». Si l’on ajoute à cet argument, le résultat d’une étude de Morningstar d’octobre 2021, selon laquelle les frais de gestions des fonds ESG sont supérieurs de 20 points de base en moyenne à ceux des fonds traditionnels, on comprend l’attrait autant que l’attention critique suscitée par ce secteur.

Toutes les approches durables se valent-elles?

Lorsqu’au sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, la nécessité de réformer la finance pour soutenir le développement durable a été mise en évidence, il était difficile d’anticiper la richesse et la diversité des stratégies de gestion durable sur le marché, 30 ans plus tard.

Comme dans de nombreux domaines, la tentation est grande de privilégier les solutions simples – voire simplistes.

Alors que l’exclusion est l’approche la plus largement appliquée, c’est également la moins ambitieuse: suffit-il de renoncer à investir dans des entreprises produisant des énergies fossiles pour décarboner la planète? A l’autre extrémité des stratégies d’investissement durable, on trouve l’engagement, fondé sur l’intention – louable – de pools d’actionnaires d’amener les entreprises à modifier leurs pratiques. Dans les faits, il s’agit d’une approche exigeant des moyens considérables et dont les effets restent difficiles à mesurer.

Des initiatives comme celle des Swiss Sustainable Fund Awards, initiée par le GFSI, qui répertorie l’ensemble des fonds durables distribués en Suisse et les classe par catégorie en offrant une analyse holistique des caractéristiques durables / ESG, favorise la sensibilisation des investisseurs à ce thème parfois complexe.

Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain?

Dans les faits, ce que ces 30 dernières années ont montré, c’est avant tout la complexité des questions liées à la durabilité. Comme dans de nombreux domaines, la tentation est grande de privilégier les solutions simples – voire simplistes. Or dans le cas de la gestion durable, ce n’est pas possible: s’agissant de question complexes, impliquant à la fois des dimensions économiques, environnementales et sociales, nous sommes contraints d’accepter la nuance et les solutions imparfaites.

Lors de la récente publication par The Economist d’un article prônant la réduction des questions de durabilité à la mesure des émissions de gaz à effets de serre, plusieurs experts ont pris la parole pour défendre la notion de juste transition. Début juin, les ministres de l’emploi et des affaires sociales de états membres de l’Europe, ont adopté un plan en vue d’une transition verte qui ne laisse personne sur la touche. Cette approche, déjà ancrée dans le Green Deal européen met en évidence qu’une transition durable solide ne peut pas se faire aux dépens des plus faibles, soulignant le lien indispensable entre les dimensions environnementales et sociales.

Des discussions de fond émergent afin de diminuer la dépendance aux pays producteurs d’énergies fossiles, Russie en tête.
La crise énergétique aura-t-elle la peau de l’ESG?

Face à la crise géopolitique actuelle et aux conséquences en matière d’approvisionnement énergétique, faut-il cependant renoncer à décarboner l’économie?

L’approche durable est intrinsèquement une approche long terme. Il est toutefois plus difficile de garder le cap dans une mer agitée et de fixer son œil sur l’horizon. Depuis mars 2022, les valeurs pétrolières et d’armement ont largement surperformé leurs indices, alors qu’elles sont sous-pondérées ou exclues des fonds durables.

Parallèlement, des discussions de fond émergent afin de diminuer la dépendance aux pays producteurs d’énergies fossiles, Russie en tête. Même si la question du recours à l’énergie nucléaire divise, il semble évident que l’indépendance en approvisionnement énergétique passe par le renforcement des sources d’énergies renouvelables. Cette stratégie a le potentiel de créer plus de 1 million de nouveau poste à l’horizon 2030 et devrait continuer d’intéresser les investisseurs.

En conclusion

En matière d’investissement durable, le scepticisme est donc un état d’esprit à encourager: confronté avec des enjeux complexes, l’investisseur ne peut faire l’économie d’une analyse approfondie des engagements des gestionnaires d’actifs. Si le renforcement de la législation de matière de transparence tend à limiter les risques de Greenwashing, il n’en reste pas moins la nécessité de garder un esprit critique!

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