Que penser du supercycle des FANG+?

Emmanuel Ferry, Evooq

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La domination économique des géants numériques interpelle les politiques, tandis que leur poids boursier fascine les investisseurs autant qu’il inquiète.

La saison des résultats pour le deuxième trimestre a une nouvelle fois consacré les grandes valeurs numériques, qui ont continué à gagner de l’argent quand tout le reste de l’économie s’effondrait. Ces sociétés, regroupées sous l’appellation des FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google). Cet acronyme est né en 2013 pour qualifier la domination numérique de ces Tech Giants ou Big Tech. Si on complète ce groupe avec Twitter et Nvidia (on exclut Tesla, qui ne fait pas partie du S&P500), on arrive à la quintessence du rêve américain et de tous les espoirs boursiers. Il faut dire que depuis 2010, la performance combinée des FANG+ est exceptionnelle: plus de 900% d’appréciation cumulée contre 200% pour le S&P492 (c’est-à-dire le S&P500 hors FANG+). En 2020, année boursière dominée par la crise du COVID-19, la surperformance a été particulièrement marquée: +35% fin juillet, contre un recul de 6% pour le S&P492.

Le poids boursier de ces huit sociétés
représente désormais 25% du S&P500.

Cette trajectoire boursière est telle que le poids boursier de ces huit sociétés représente désormais 25% du S&P500, alors qu’il était d’à peine 6% il y a moins de dix ans. Une telle concentration suscite naturellement des inquiétudes de bulle financière et d’excès de valorisation des leaders numériques. Si on regarde la première capitalisation boursière du S&P500 sous un angle historique, Apple représente 6,5% aujourd’hui. C’était Exxon Mobile en 2008 (5,2%) et Microsoft en 1999 (4,9%). Avant, IBM avait atteint un record en 1969 à 9,0%, juste au-dessus de AT&T en 1964 (8,9%). Si on considère la concentration des cinq premières capitalisations boursières actuelles, dominées par les géants de la tech (22%), le pic de 1999 est largement dépassé et il faut remonter à la fin des années 60 pour retrouver un poids équivalent. C’était l’époque des Nifty Fifty, un concept basé sur la solidité des résultats, qui autorisait de payer jusqu’à 50x les résultats.

Aujourd’hui, le concept des FANG+ est tout autant robuste. La croissance bénéficiaire est nettement supérieure à celle du S&P492, avec actuellement un différentiel de près de +25%. Les profits agrégés sont de 167 milliards de dollars (soit 14% des profits du S&P500) et l’EBITDA combiné (résultat avant charges financières, impôts et dotations aux amortissements et provisions) est proche de 300 milliards. Ce groupe d’entreprises n’a pas de dette (liquidités nettes de 185 milliards contre une dette cumulée de 6'930 milliards pour le S&P492). La prime de valorisation actuelle (P/E de 41x contre 21x pour le reste du marché) est élevée mais elle se justifie très bien dans un monde sans croissance, de déflation et d’endettement record. L’absence de dette chez les géants de la tech rend difficile un scénario d’éclatement de bulle car ces entreprises, qualifiées de cash rich, restituent les excès de liquidités à leurs actionnaires. Après la crise du COVID-19, c’est le seul secteur capable encore de racheter ses titres.

Ce phénomène de concentration majeure
est un plaidoyer pour la gestion passive aux Etats-Unis.

Ce sont des quasi-monopoles qui défient la théorie néo-classique des rendements décroissants. Les rentes numériques basées sur des réseaux planétaires ne sont pas des rentes comme les autres. Cela attise logiquement les menaces de démantèlement de la part des autorités politiques. C’est le principal risque exogène. Mais le législateur américain sera-t-il capable d’affaiblir ses 8 Fantastiques alors que la guerre commerciale et technologique avec la Chine ne fait que commencer? Sur le plan macro-financier, les principaux risques pour les FANG+ sont,  soit un mix croissance-inflation plus dynamique, soit l’amorce d’un cycle de désendettement des sociétés, qui viendrait déclencher une rotation forte des thèmes boursiers. L’absence d’horizon de remontée des taux d’intérêt pour cause de dette publique record montre bien que ces «scénarios anti-FANG+» sont des hypothèses lointaines. Le poids boursier de ce groupe a des chances de progresser encore, et il pourrait prochainement égaler la taille des marchés européens. En attendant, ce phénomène de concentration majeure est un plaidoyer pour la gestion passive aux Etats-Unis. Ou alors, il faut isoler le bloc des FANG+ et limiter l’univers de stock picking au S&P492, là où l’alpha peut encore signifier quelque chose. A plus long terme, l’hyper domination des Big Tech pose la question de la pérennité du modèle capitaliste américain et du rôle des marchés financiers. 

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