Ne tirez pas sur l’ambulance

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Après un moment de suspens, l’Italie vient de voir sa note confirmée par les agences de crédit. Était-il bien nécessaire d’en arriver à ces extrémités?

L’Italie, confinée depuis le 9 mars dernier, n’avait pas besoin de cela! Depuis le début de la crise, elle s’est trouvée en première ligne, tant sur le plan du bilan humain que sur le plan économique et politique. Non content de recenser à ce jour plus de 26'0001 décès, le gouvernement Italien a dû se mobiliser dans des conditions politiques et économiques très tendues. Giuseppe Conte, le Président minoritaire du Conseil, a vu l’économie du pays touchée au cœur de ses bastions industriels. L’Italie connaitra une dure récession. Le poids de sa dette, comme les craintes lancinantes sur la fragilité de son secteur financier, l’ont d’emblée rendue la plus vulnérable aux yeux des marchés. L’écartement des rendements de la dette italienne face à l’Allemagne a reflété ces nouvelles tensions. Le taux de l’emprunt à 10 ans s’est écarté à plus de 100 points de base au-dessus de la référence Bund, soit juste 40 points de base au-dessous de la dette grecque.

Après un premier plan de soutien de 25 milliards d’euros, et un programme de garanties de prêts de plus de 25% du PIB, le gouvernement italien s’apprête à lancer un programme d’aide supplémentaire de 55 milliards d’euros, destiné à sauvegarder en priorité la trésorerie des entreprises et l’emploi. Le pays devrait entamer sa sortie progressive du confinement le 4 mai prochain, mais les écoliers devront attendre la rentrée pour retrouver le chemin des classes.

Le gouvernement italien peut compter sur la BCE pour le «préfinancement»
de ses besoins supplémentaires liés au dérapage économique.

C’est dans ce contexte que l’agence S&P vient de confirmer sa note de crédit pour la dette italienne, à BBB, la maintenant au-dessus de la catégorie dite spéculative, et lui évitant ainsi l’humiliante pression politique et financière qui en aurait résulté. L’Agence Moody’s semble également en passe de maintenir le statu quo. On peut en être légitimement soulagé. On pourrait aussi regretter que la pression se soit accrue ces derniers jours sur l’Italie. Car les déboires économiques actuels du pays sont le lot commun de toute la région – et même du monde – et ses atouts et ses faiblesses tiennent à son appartenance à la zone euro comme aux reliques de son passé.

En effet, avant même que ne soit rendue la «sentence» des agences de notation, la Banque Centrale Européenne, qui avait déjà largement étendu ses facilités d’achats d’actifs au profit de l’Italie, a annoncé son intention de continuer d’accepter les dettes dites «junk» en collatéral des besoins de financement du système financier. Depuis le début de la crise, le gouvernement italien peut ainsi compter sur la BCE pour le «préfinancement» de ses besoins supplémentaires liés au dérapage économique et à ses plans de relance. Les «censeurs» de la dette ne pouvaient que tenir compte de ce soutien, considérant par ailleurs que la crise étant le résultat d’un choc exogène temporaire, l’Italie pourrait, d’ici trois ans, retrouver le chemin de la réduction de son endettement. Et de fait, comme nous l’avons déjà souligné, voilà déjà de nombreuses années que l’Italie s’attache à tenir ses engagements budgétaires européens et contrôle son déficit primaire (hors charge d’intérêt). A ce compte, l’Italie pourrait donc voir le coût moyen de sa dette supplémentaire être inférieur à 1% cette année, contre plus de 2% l’an passé.

L’Italie devait pouvoir compter sur la confiance
des investisseurs, nationaux pour la plus grande part.

Le fonds de garanties et de soutien européen de 540 milliards d’euros (comprenant des prêts et des financements), devrait également contribuer à soulager la facture du pays. Plus fondamentalement, les agences reconnaissent que l’Italie jouit d’un secteur industriel et commercial dynamique et agile, d’un taux d’épargne élevé et d’un faible endettement du secteur privé, ce qui lui assure une balance courante bénéficiaire. Ses faiblesses ne sont cependant pas moins criantes. Elles alimentent la méfiance de ses voisins du «Nord», disons-le. Ceux-ci craignent notamment les détournements des fonds européens distribués, dans un pays miné par la mafia et où l’économie «grise» cohabite avec un marché du travail jugé trop rigide et une fiscalité d’entreprises trop pénalisante. Ce sont là des maux anciens, qui expliquent le faible taux de participation de la population active, alors que le pays est en butte à son vieillissement rapide, et au manque de dynamisme de ses investissements productifs, sur un tissu industriel constitué d’assez petites entreprises.

Alors est-ce beaucoup trop de bruit pour rien? Giuseppe Conte, le Président du Conseil, sort renforcé de cette épreuve, qu’il a de surcroît remportée sur deux fronts. Face à l’Eurogroupe, en obtenant une aide substantielle, hors des contreparties exigées dans le cadre du MES2. Face à l’opposition des eurosceptiques de la Ligue et du M5S – dont il est issu - qu’il a pu vaincre, tant l’un et l’autre se trouvent discrédités – notamment la Ligue dans son fief Lombard – par l’insupportable légèreté de leurs contradictions.

Ainsi, malgré l’encours astronomique de sa dette qui devrait atteindre entre 153% et 156% de son PIB cette année selon les estimations les plus récentes, l’Italie devait pouvoir compter sur la confiance des investisseurs, nationaux pour la plus grande part.

 

1 26'384 personnes décédées recensées au 25 avril 2020.
2 MES, Mecanisme Européen de Stabilité.

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