Les rendements de la dette privée à la loupe

Pavel Ermoline, Hermance Capital Partners

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La classe d’actifs génère des profits supérieurs aux obligations tout en maintenant un risque maitrisé grâce à un modèle robuste de gouvernance.

Depuis plus d’une décennie, la dette privée délivre des rendements nettement supérieurs aux alternatives liquides. Comparée au high yield et aux prêts syndiqués, avec respectivement 4,3% et 5,2% p.a. de rendements annuels moyens sur les 10 dernières années, la dette privée a délivré une performance entre 8% et 11% p.a1. Ramenée au contexte de taux bas, voire négatifs, qui marque les années d’après-crise financière, c’est une belle prouesse. 

Bien que certains attribuent cette surperformance à un risque intrinsèque plus important, il faut remonter à la genèse de la classe d’actifs pour constater que la réalité est bien différente. La dette privée a réellement pris son envol après la crise financière de 2008, suite aux nombreuses régulations macro-prudentielles mises en place telles que les règles de Bâle III, le Dodd-Frank Act ou encore la Volker Rule. Les coûts de fonds propres plus élevés ont eu raison des banques, qui se sont vues contraintes de réduire leur activité de prêts sur certains segments et de limiter le levier employé. La demande n’a quant à elle pas cessé de croître. Ce déséquilibre a ainsi ouvert une brèche pour les prêteurs alternatifs et notamment les fonds de dette privée, qui ont pu profiter d’un vaste marché autrefois réservé aux banques et désormais moins compétitif.

La désintermédiation a eu comme conséquence logique
d’augmenter les marges perçues par les investisseurs finaux.

Cette désintermédiation a bouleversé les rapports de force, et a eu comme conséquence logique d’augmenter les marges perçues par les investisseurs finaux. En effet, dans un modèle d’intermédiation bancaire classique, dit originate-to-distribute, les prêts sont émis par une ou plusieurs banques – qui se rémunèrent en amont – avant d’être offerts au marché via des CLO (Collateralized Loan Obligation) ou distribués directement à des investisseurs institutionnels sous forme de Loans. Les investisseurs finaux sont pour ainsi dire price taker et ne bénéficient que de la marge résiduelle, généralement sous la forme de coupons. Ceux-ci n’ont donc aucune interaction et aucun pouvoir de négociation avec l’entité émettrice. 

A contrario, dans le modèle de la dette privée, dit originate-to-hold, le fonds de dette privée émet directement les prêts auprès des sociétés dans l’optique de les conserver sur son bilan. L’appellation de ces fonds de Direct Lending prend alors tout son sens. Ces acteurs sont donc en mesure de capturer plusieurs sources de rendements en sus du coupon. Commission de structuration, commission de sortie, pénalités de prépaiement, intérêts sur les engagements non appelés, warrants, sont autant d’exemples de rémunérations supplémentaires perçues par les fonds de dette privée. Couplé avec une compétition relativement modeste, le potentiel de rendement est par conséquent supérieur au marché obligataire. 

Un rendement élevé va généralement de pair avec un risque élevé. Or le risque apparaît bien maitrisé en dette privée. D’une part, une approche originate-to-hold est par nature plus saine quand il s’agit d’éviter les problèmes d’asymétrie d’information, tel que l’aléa moral dans les opérations de titrisation. D’autre part, les fonds étant directement à la manœuvre et souvent l’unique contrepartie de la transaction, ils bénéficient d’un fort pouvoir de négociation. Les protections attachées à la dette privée sont donc nombreuses et les covenants permettent d’actionner des mesures visant à restaurer la situation ou exiger un remboursement anticipé. 

Les défauts ont été en partie provoqués par des violations
de clauses techniques liées aux covenants.

Par ailleurs, les fonds obtiennent régulièrement une représentation en qualité d’observateur aux comités de gestion, ce qui leur confère une meilleure visibilité et une capacité à réagir rapidement. Ce modèle de gouvernance est ainsi garant d’un fort alignement d’intérêts, contrairement à une émission obligataire classique, dispersée parmi de nombreux créditeurs avec des intentions parfois divergentes. Pour ces raisons, les fonds de dette privée ont fait preuve de résilience face à la crise du COVID, avec toutefois une dispersion prononcée entre les secteurs. Les défauts ont été en partie provoqués par des violations de clauses techniques liées aux covenants, permettant aux gérants de prendre des mesures bien en amont d’une détérioration plus sévère. Sur une période plus longue, les taux de perte sur la dette privée senior avoisinent 0,8% p.a., contre 1,6% p.a et 0,9% p.a. pour le high yield et les prêts syndiqués respectivement2.

Rapportée au risque, les rendements de la dette privée sont donc attractifs. La performance élevée s’explique par l’absence d’intermédiaire bancaire avec comme corollaire un modèle de gouvernance sain et une profondeur du marché importante. La crise du COVID n’a fait que renforcer cette tendance, avec des banques en retrait et moins réactives ainsi qu’un élargissement du spectre des opportunités d’investissements. Les perspectives pour la dette privée sur les prochaines années sont donc prometteuses.

Nous observons ainsi un nouveau paradigme dans les allocations des investisseurs, qui convertissent graduellement leurs positions obligataires en dette privée. Dans le but de profiter d’un relais de croissance et de diversification dans les portefeuilles, mais également pour couvrir une éventuelle hausse de taux. Les coupons des transactions de dette privée étant principalement basée sur taux flottant, un retournement de la politique monétaire ne devrait pas affecter la performance relative de la classe d’actifs.

1 Source: 30 juin 2020. Cliffwater, Bloomberg Barclays High Yield, S&P/LSTA Leveraged Loan Index.
2 Fitch 30 juin 2020. Ratings / Thomson Reuters, Cliffwater, Bloomberg Barclays High Yield, S&P/LSTA Leveraged Loan Index.

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