Les marchés émergents accueillent l’année du Buffle

Alain Barbezat, BCV

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Bien que le bovidé ne soit pas un grand voyageur, 2021 pourrait réserver quelques surprises et pas seulement en Asie.

Dans la mythologie chinoise, l'empereur de Jade demanda aux animaux de se mesurer dans une course afin qu’il puisse décider de l'ordre des signes du zodiaque en fonction de leur ordre d’arrivée. Malin, le rat se percha secrètement sur le bœuf pendant toute la course. À la dernière seconde, il sauta en avant pour remporter la compétition, gagnant ainsi le privilège d'être le premier des signes du zodiaque chinois. En résumé, le Rat est un personnage un peu fourbe, tout comme 2020 l’a été. Bienvenue donc à l’année du Bœuf, une année que nous espérons solide, raisonnable et fiable.

Dans cette année du Bœuf, les probabilités que les décideurs commettent l'erreur de surstimuler l'économie mondiale malgré un déploiement réussi des vaccins sont élevées. Un tel développement entraînerait une accélération de la croissance, qui serait autant de soutien aux valeurs financières et aux entreprises exposées au monde physique, communément classifiées sous l’appellation Value.

Avantage aux marchés non asiatiques

À forte composante Value, les marchés émergents, dont les valorisations restent nettement inférieures aux actions américaines – même comparées à la moyenne historique –, figurent ainsi en bonne place parmi les bénéficiaires d’un tel scénario. Si la situation macroéconomique paraît favorable à ces actifs pris dans leur ensemble, des forces importantes favorisent particulièrement les marchés émergents non asiatiques exportateurs de matières premières. Elles pourraient même conduire à leur surperformance au cours de l'année 2021.

Premier atout des marchés émergents non asiatiques:
le retour des matières premières.
Produits de base

Premier atout des marchés émergents non asiatiques: le retour des matières premières. Leur récente hausse avantage les exportateurs de produits bruts par rapport aux exportateurs de produits manufacturés, car si ces derniers monétisent les volumes, les exportateurs de matières premières monétisent les prix. La reprise de la demande dans les pays riches devrait entraîner un environnement plus inflationniste, qui plus est si les chaînes d'approvisionnement restent perturbées. Les exportateurs de produits manufacturés seront alors contraints de faire face à des coûts d'intrants plus élevés, tandis que la concurrence limitera leur capacité à répercuter ces coûts plus élevés sur les clients. En revanche, les exportateurs de produits de base bénéficieront de prix à la production plus élevés; en bref, leurs termes d'échange, c’est-à-dire le rapport entre les prix des exportations et celui des importations, s'amélioreront.

Monnaies dévaluées

Autre atout des pays émergents non asiatiques: le niveau de valorisation de leur monnaie par rapport à leurs homologues asiatiques, et ceci malgré la présence de risques idiosyncrasiques. Le Brésil enregistre en effet un déficit budgétaire troublant, même s’il est financé en majorité par des fonds internes. Au Mexique et en Afrique du Sud, l’endettement des entreprises du secteur public continue de peser sur les économies. Et le risque politique en Turquie reste élevé.

Les investisseurs de ces marchés peuvent cependant se permettre d'aller un peu plus loin dans la palette des risques et de la qualité dans la mesure où les forces sous-jacentes continuent de pointer vers la faiblesse du dollar américain et que la Réserve fédérale américaine reste engagée à fournir des liquidités aux marchés internationaux.

La réduction de la sous-évaluation des devises des pays émergents – qui sont davantage sous-évaluées qu'elles ne l'étaient au plus fort de la crise financière de 2008 et presque aussi bon marché qu'elles l'étaient pendant la crise financière asiatique de 1997 – sera ainsi un facteur important de performance en 2021.

L’Asie s’est trouvée en position de force en comparaison
avec les pays exportateurs de matières premières.
Performance non linéaire

Ces atouts sont renforcés par l’analyse détaillée de ce qui a permis la surperformance boursière asiatique. Depuis la crise de 2008, le monde a connu un ralentissement de son rythme de croissance, accompagné par une période de désinflation. Dans ce contexte, l’Asie s’est trouvée en position de force en comparaison avec les pays exportateurs de matières premières.
Cependant, la surperformance des marchés asiatiques n’a pas été linéaire. Elle s’est faite durant les deux phases de pression les plus intenses sur l’inflation, soit la période allant de 2012 à 2015 et durant le premier trimestre 2020. Par ailleurs, elle a été principalement générée par l’évolution des monnaies. La meilleure tenue des monnaies asiatiques explique 80% de la surperformance de l’Asie depuis 2009 (54% des 67% totaux) et plus de la moitié en 2020 (4,5% des 9%).

Des termes d’échange déterminants

L’évolution des termes d’échange est ainsi au cœur de ce match Asie contre non-Asie. Depuis mi-2020, la hausse du prix des matières premières, accompagnée d’une baisse du dollar américain et du rebond de l’économie mondiale, inverse les rapports de force en faveur de l’Amérique latine et des autres pays exportateurs de matières premières (Russie, Afrique du Sud, Moyen-Orient). Alors que les monnaies asiatiques se traitent déjà près de leur moyenne historique, le réal brésilien et le rouble russe sont encore 50% en deçà de celle-ci.

En conclusion, les investisseurs peuvent souhaiter profiter de la pause actuelle dans le cycle d’appréciation des monnaies émergentes non asiatiques pour faire le plein d'actifs survendus et sous-évalués de la zone émergente. Pour reprendre la fable de la mythologie chinoise, préférer le rat après avoir bénéficié du bœuf.

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