Les deux moteurs de l’économie européenne

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La zone euro, entre freinage de l’économie et resserrement annoncé de la politique monétaire.

Emploi et crédit sont les deux piliers de l’économie européenne. La pandémie avait fait craindre une envolée durable du chômage et un rationnement des prêts. Les mesures de soutien gouvernemental ont évité ce désastre. Les deux moteurs de croissance ont vite été remis en route. Quand la guerre en Ukraine a débuté, ils tournaient à un régime supérieur à la normale. Les conditions d’activité courantes résistent donc bien mais la poussée d’inflation et la remontée des taux d’emprunt risquent de peser sur la demande future.

Le cycle économique reflète avant tout les fluctuations de la demande intérieure dont les deux principaux déterminants sont l’emploi et le crédit. Si l’emploi fait défaut, le revenu des ménages sera bridé ainsi que la consommation. Si le crédit vient à manquer, ce sont les dépenses d’investissement qui seront réduites, soit du côté des ménages, soit du côté des entreprises. Au début de la pandémie, afin d’éviter un gel durable de l’emploi et du crédit, les gouvernements européens ont mis en place de vastes programmes de chômage partiel et de garanties de prêt. La reprise qui a suivi a montré leur succès, à rebours des craintes de zombification. Face au choc causé par la guerre en Ukraine, la solidité de la reprise européenne est à nouveau testée.

L’emploi fait de la résistance

Du côté du marché du travail, on n’observe pas de dégradation marquée dans les enquêtes auprès des entreprises, mais une stabilisation des intentions d’embauches à un haut niveau. Les ménages se montrent un peu plus inquiets des perspectives d’emploi depuis mars dernier, mais on reste loin d’un seuil de retournement vers une zone de récession. Par ailleurs, les entreprises ont des difficultés de recrutement limitant leur capacité de production. C’est une caractéristique des phases d’expansion.

Le choc causé par la pandémie sur le marché du travail n’est pas totalement effacé en zone euro mais des progrès considérables ont été accomplis. Pour rappel, le confinement du printemps 2020 avait entraîné une baisse de l’emploi de 3,1% et avait abouti à un effondrement de 18% du nombre des heures. Après dix-huit mois de rebond, le volume des heures n’était plus qu’à 2,1% de son niveau pré-Covid au quatrième trimestre 2021. L’emploi avait même un peu dépassé ce niveau. Il restait alors en-deçà de la tendance pré-Covid pour une estimation à 3,6 millions de postes. L’essentiel du rattrapage reste à faire dans les secteurs les plus dépendants des mesures anti-Covid. Même en tenant compte d’une modération des créations d’emploi vers leur rythme pré-crise, cet écart pourrait être comblé dans le courant de 2023. A la différence des Etats-Unis, l’économie européenne ne bute pas sur la barrière du plein-emploi grâce à une meilleure préservation de l’offre de travail.

Le crédit pris en tenaille

Pour ce qui est du marché du crédit, la priorité de la politique économique durant la pandémie a été d’empêcher que le cycle financier n’amplifie la correction du cycle économique – à rebours de ce qui s’était produit après la crise de 2008. Quand une récession a pour cause un excès de crédit, il peut être utile d’encourager la «destruction créatrice» (liquidation des firmes non profitables, assainissement des bilans). Mais tel n’était pas le cas en 2020. Tout a été fait pour que les firmes ne manquent pas de financement, et soient aidées à faire face à leurs échéances de remboursement. En somme, il a été jugé préférable de sauver tout le monde plutôt que d’asphyxier les entreprises les plus saines. Avec la crise ukrainienne et la pression qui en résulte sur les marges, on revient à une situation plus classique. Le coût de l’endettement augmente au moment où le revenu réel des agents se réduit. Sans surprise, les banques commerciales prévoient de resserrer leurs standards de prêt et anticipent un freinage de la demande de crédit. De plus, le mouvement général de relèvement des taux directeurs, auquel la banque centrale européenne va bientôt se joindre, n’arrange pas les perspectives.

Le marché du crédit en zone euro est pris en tenaille entre le freinage de l’économie et le resserrement annoncé de la politique monétaire. Ce fut là une combinaison fatale en 2008 et à un degré moindre en 2011. Une différence notable avec ces épisodes passés tient à la situation financière des agents. Depuis une décennie au moins, les banques ont assaini leur bilan, ont été recapitalisées et sont désormais régulièrement stress-testées sur des scénarios économiques impliquant une contraction du PIB de 10 points. Les entreprises non-financières ont réduit leur endettement net et sont moins vulnérables à un freinage du crédit. En 2021, la charge nette d’intérêt des entreprises ne représentait que 0,6% de leur valeur ajoutée contre 3,6% en 2008. Le risque apparaît plus important en ce qui concerne le crédit hypothécaire. Le marché de l’immobilier résidentiel a été soutenu ces dernières années par la baisse des taux d’emprunt, qui augmentait la capacité d’achat des ménages. Sur l’année écoulée, les prix des logements ont augmenté de 9,3% en zone euro, un rythme que la BCE juge certainement trop fort. Avec la hausse des taux, à l’inverse, les ménages vont subir une baisse de leur capacité d’emprunt.

A ce stade, on n’observe pas de fragmentation des conditions de crédit en zone euro, comme ce fut le cas lors des crises souveraine ou comme on a pu le craindre au début de la pandémie. En tout état de cause, la BCE est résolue à stopper ses achats nets de titres de dette d’Etat ou d’entreprises, considérant qu’en cas de stress elle a des marges de manœuvre en ajustant sa politique de réinvestissement. Sans donner le moindre détail, elle indique aussi qu’un éventuel outil anti-fragmentation pourrait être rapidement mis en place si le besoin s’en faisait sentir. On préférerait ne pas en arriver là.

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