Les dérives en Ukraine alimenteront l'inflation

Christopher Smart, Barings

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Des dangers liés aux objectifs de guerre qui deviennent plus durs, plus étendus, plus flous.

© Keystone

Le discours de plus en plus tranchant de la Fed a convaincu les marchés obligataires que l'Amérique échappera à une période néfaste d’inflation des salaires et des prix. Mais cette confiance pourrait s'estomper rapidement si les dirigeants politiques américains continuent à fixer des objectifs flous et flottants dans la guerre en Ukraine. Cette dérive n'est pas seulement une mauvaise stratégie militaire, mais elle menace également de déclencher des forces inflationnistes durables bien au-delà du récent choc des prix des matières premières.

Flou politique et expansion du conflit

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, insiste sur le fait que l'Amérique soutient l'Ukraine «jusqu'à la victoire». Lloyd Austin parlant d'une Russie «affaiblie» qui ne pourrait plus agresser qui que ce soit, le monde semble se diriger vers un long, pénible et coûteux conflit. S'il y a quelque chose qui mettra fin à 40 années de faible inflation et de taux d'intérêt en baisse, c'est un embrasement en Europe de l'Est qui déclenchera de nouvelles dépenses militaires massives, un remodelage douloureux des flux mondiaux de matières premières et un durcissement des sanctions internationales.

Un conflit qui paraissait impensable au début du mois de février et assuré d'une rapide victoire de la Russie au début du mois de mars s’est maintenant installé durablement et dangereusement au sein de la politique européenne et mondiale. Si les objectifs de guerre initiaux de la Russie se sont déplacés de Kiev vers l'est et le sud, les objectifs de l'Occident sont passés d'un soutien symbolique à la cause ukrainienne à un conflit qui laisserait la Russie définitivement endommagée.

L'Allemagne a rompu avec ses habitudes en renforçant son budget militaire et d'autres nations européennes semblent lui emboîter le pas.

Les dirigeants américains et européens renforcent leur engagement en Ukraine à chaque nouveau rapport sur les morts civiles et les atrocités commises. Joe Biden devrait obtenir le soutien du Congrès pour une demande de 33 milliards de dollars pour l'Ukraine, les sondages montrant un rare appui bipartisan à la politique de l'administration. Parallèlement, La Finlande et la Suède se préparant à devenir membres de l'OTAN, pendant que le Bundestag approuve à une écrasante majorité la livraison d'armes lourdes. Alors que de plus en plus de responsables politiques occidentaux se rendent à Kiev pour rencontrer Volodymyr Zelensky, leur engagement et les aides ne font que croître.

C'est exactement le type de dérive contre laquelle les experts militaires mettent régulièrement en garde. Après le Vietnam mais avant l'Afghanistan, le regretté secrétaire d'État Colin Powell a proposé des «principes» pour l’engagement des troupes américaines, notamment un objectif clair et réalisable, une analyse complète des risques et une stratégie de sortie réaliste. Si ces questions ont été posées à propos de l'Ukraine, l’on attend encore des réponses.

La dérive et ses conséquences

Premièrement, nous sommes confrontés à une augmentation des dépenses de défense. Le budget de l'administration Biden pour l'année prochaine prévoit une hausse de 4% et ce chiffre grimpera considérablement si les républicains prennent le contrôle du Congrès après les élections de mi-mandat cet automne. L'Allemagne a rompu avec ses habitudes en renforçant son budget militaire et d'autres nations européennes semblent lui emboîter le pas.

Deuxièmement, le choc d'une interruption des exportations russes n'est que le début des pressions sur les prix. L'Europe, en particulier, devra modifier ses flux commerciaux sur plusieurs années pour remplacer les approvisionnements perdus en énergie et minéraux, mais aussi pour trouver de nouveaux marchés pour ses exportations. L'Égypte, la Turquie et d'autres pays en développement auront besoin de nouvelles sources de nourriture et d'engrais. Les chaînes d'approvisionnement, qui auraient pu revenir à la normale alors que la pandémie s’atténuait, sont confrontées à de nouvelles tensions qui pourraient durer des années.

Le conflit russo-ukrainien est encore loin du niveau de dévastation et de dépenses que la Seconde Guerre Mondiale a engendré, mais l'escalade semble plus probable que la paix.

Troisièmement, les flux financiers mondiaux sont confrontés à de nouvelles incertitudes, car les sanctions s'intensifient à l'encontre de pays comme la Chine, l'Inde et d'autres qui sont réticents à sanctionner la Russie. L'indignation croissante de l'opinion publique dans les pays ayant sanctionné la Russie exigera de sévère punitions pour les banques ou les entreprises qui contournent les règles. Il est encore trop tôt pour un abandon des avoirs en dollars, étant donné le peu d'alternatives attrayantes, mais l'envenimement des relations pourrait réduire l'appétit pour les bons du Trésor et faire monter les taux.

Il n'y a pas si longtemps, ceux qui déploraient les pressions déflationnistes persistantes dues à la mondialisation, au vieillissement démographique et aux progrès technologiques, se souvenaient que la Grande Dépression n'avait pris fin qu'avec la Seconde Guerre mondiale. Bien sûr, le conflit russo-ukrainien est encore loin du niveau de dévastation et de dépenses que la Seconde Guerre Mondiale a engendré, mais l'escalade semble plus probable que la paix.

Éventuellement, un cessez-le-feu gèlerait le conflit. Il est possible que la hausse des prix des produits de base entraîne de nouvelles fournitures plus rapidement que prévu. Il est même possible qu'une diplomatie occidentale habile parvienne à empêcher les pays «non-alignés» d'étendre leurs engagements commerciaux avec la Russie.

Mais toutes ces éventualités paraîtraient plus réalistes si les dirigeants occidentaux donnaient une ligne clairement définie de leurs objectifs en matière de soutien à l'Ukraine et s'ils étaient convaincus que cette ligne ne bougera pas.

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