Les conditions d’une stabilisation économique et financière

François-Xavier Chauchat, Dorval Asset Management

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La crise du coronavirus est en passe de provoquer la plus sérieuse dislocation économique et financière depuis 2008.

L’économie mondiale est étouffée par les confinements et les paniques, les bourses mondiales ont chuté de plus de 30% en cinq semaines, et les taux d‘intérêt des obligations d’entreprises sont remontés considérablement par crainte des faillites. La plupart des pays mettent en place les uns après les autres des confinements massifs qui dureront plusieurs semaines. Suivrait ensuite une période de transition de plusieurs mois.

La lente réouverture de l’économie chinoise
ne se traduit pas pour l‘instant par une deuxième vague de nouveaux cas.

Dans ce contexte, la stabilisation puis la reprise économique et financière dépendra de deux conditions: 

  1. Des conditions sanitaires d’abord. L’épidémie ne fait que commencer aux Etats-Unis et en Europe (hors Italie), et il existe encore des incertitudes quant à sa sévérité et sa durée en fonction de facteurs multiples: nombre de lits d’hôpitaux disponibles, contagiosités inégales, taux de mortalité hétérogènes, choix politiques, réactions des populations, possibilités de remèdes, etc. L’impact économique global dépendra de tous ces facteurs imprévisibles. Cependant, la Chine, la Corée et, semble-t-il, une partie de la Lombardie, ont passé le pic des nouveaux cas de coronavirus. De plus, la lente réouverture de l’économie chinoise, entre 60% et 95% suivant les secteurs, ne se traduit pas pour l‘instant par une deuxième vague de nouveaux cas. 
  2. Des conditions budgétaires et monétaires ensuite. Pour assurer une bonne réversibilité du choc, un soutien budgétaire et monétaire d’ampleur historique est en cours: sauvegarde des revenus, garanties de prêts, nationalisations temporaires de secteurs en difficulté, aides massives à la trésorerie et au chômage technique, sauvegarde des banques et achats massifs d’actifs par les banques centrales. Ces dernières devront veiller à ce que la forte hausse de la dette publique, de l’ordre de 10 à 20% du PIB, ne conduise pas à une remontée des taux d’intérêt. A l’aune de l’expérience japonaise, dont la dette publique brute est plus de deux fois supérieure à la nôtre, cela ne pose pas de problème théorique. Viendront ensuite des mesures classiques de relance une fois les confinements levés: prime à la casse dans l’automobile, plan d’infrastructure, etc. La Chine a commencé à mettre en place de de telles mesures maintenant que le retour au travail progresse.
A court-terme, les mesures de confinement successives
rendent inévitable une récession de l’économie mondiale.

Si toutes ces conditions sont réunies rapidement, les agents économiques pourraient commencer à se projeter dans un monde où le virus est maitrisé et l’activité économique au moins partiellement normalisée. A court-terme, les mesures de confinement successives, pays après pays et sur plusieurs semaines, rendent inévitable une récession de l’économie mondiale. Le choc est atténué par le fait que les économies modernes présentent des caractéristiques de résilience, que ce soit par la numérisation (télétravail et e-commerce) ou par le poids des secteurs non-cycliques (administrations publiques et privées, économie de l’abonnements, etc.). Au total, même si nous sommes bien conscients qu’aucun chiffrage n’est vraiment crédible aujourd’hui, la croissance mondiale 2020 pourrait se situer entre -1% et +1,5%, avant un rebond très prononcé en 2021 (+4% ou plus). La récession sera extraordinairement sévère mais relativement courte, avec un point bas au deuxième ou début du troisième trimestre 2020.

En Europe les contraintes budgétaires et d’aides publiques aux entreprises ont été suspendues, et la France et l’Allemagne affichent à elles seules un plan de soutien de près d’un milliard d’euros. Il faudra aller plus loin sur la solidarité européenne. L’administration américaine a, elle, annoncé un plan de 1’200 milliards de dollars. Toutes ces sommes seront augmentées si nécessaire. Le financement sera en grande partie monétaire. Ceci ne pose encore une fois aucun problème théorique à la plupart des pays développés, mais c’est malheureusement beaucoup moins vrai des pays émergents (hors Chine), qui auront parfois besoin du FMI. Par ailleurs, la forte baisse des prix du pétrole, même si elle a des inconvénients pour certains acteurs, fera, une fois les confinements relâchés, plus de gagnants que de perdants, notamment en Europe et en Asie.

Les «bazookas» budgétaires et monétaires mis en place pourraient
s’avérer insuffisants ou trop compliqués à utiliser par les entreprises.

Le scénario le plus positif serait le suivant: un pic épidémiologique de nouveaux cas dans les semaines qui viennent, et une courbe en «J» pour l’économie mondiale, avec un point bas de sévérité inédite au deuxième trimestre (voire au début du troisième) avant une reprise progressive. Pour les bourses mondiales, en revanche, le point bas de marché se situerait plus tôt. Dans ce scénario, il devient difficile de réduire exagérément les positions dans les portefeuilles, car les mouvements récents ont fait plonger les valorisations à des niveaux extrêmes.

D’autres scénarios de stress économique et financier plus importants à court-terme existent cependant et ne peuvent être ignorés. Le principe de précaution sanitaire créant un chaos économique de court-terme, des réactions politiques et sociales de contestations pourraient accroitre les incertitudes. Les «bazookas» budgétaires et monétaires mis en place pourraient s’avérer insuffisants ou trop compliqués à utiliser par les entreprises (surtout les PME). D’autre part, les informations sanitaires en provenance d’Asie, plutôt rassurantes à ce jour, pourraient se détériorer à nouveau, et laisser penser que la crise durerait plus longtemps que prévu. 

Les marchés financiers vont hésiter entre les deux scénarios en fonction d’évolutions sanitaires impossibles à prévoir au cours des prochaines semaines, avec des mouvements d’autant plus violents que l’horizon des investisseurs s’est considérablement raccourci, et que des positions à effets de levier doivent encore être apurées. Mais à plus long-terme, les perspectives d’un fort rebond de l’activité économique en 2021 et au-delà, et le niveau élevé des primes de risques déjà atteint sur les marchés financiers créent des opportunités majeures pour les investisseurs patients.

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