Les bons du Trésor américains revisités

Peter de Coensel, DPAM

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La demande pour les emprunts d’Etat américains est vive, notamment chez les investisseurs étrangers.

© Keytone

La forte détente des taux américains le 15 avril dernier a surpris de nombreux acteurs du marché. En effet, l’inflation à 2,6% en glissement annuel, la forte baisse des demandes hebdomadaires d’allocations chômage et la hausse rapide des ventes au détail (+9,8% d’un mois sur l’autre) auraient dû se répercuter négativement sur les marchés de taux. Or, contre toute attente, ces derniers ont commencé à se redresser. Dans les faits, les courbes de taux ne sont pas uniquement influencées par les indicateurs macro-économiques; toute une série de facteurs interdépendants interviennent. Afin de mieux les cerner, nous allons examiner les vecteurs explicatifs de la volatilité des taux, l’évolution de la demande pour les titres du Trésor et celle de leur répartition.

Des fonds de pension avides de bons du Trésor

Les fonds de pension américains sont l’un des moteurs de la demande. Le 15 avril dernier, un rapport portant sur les 100 plus gros plans de retraite d’entreprises américaines indiquait que leur taux de couverture s’était amélioré et s’élevait à 98,4 % à la fin du premier trimestre 2021. Ainsi, grâce à la réduction de près de 250 milliards de dollars du déficit de financement intervenue depuis le 30 septembre 2020, l’indice «Milliman 100 Pension Funding» se trouve à moins de 2% d’une couverture à 100%.

La forte augmentation de ce taux de couverture alimente la demande en bons du Trésor et en «strips» (obligations démembrées en un certificat principal et des certificats de coupons) à échéance longue, ce qui a eu pour conséquence une réduction de près de 15 points de base de l’écart entre les taux à 10 et 30 ans sur une période d’environ un mois et demi. Constatant qu’ils ne sont plus très éloignés d’un ratio de couverture de 100%, les fonds de pension respirent et ils vont chercher à rester proches de ce niveau en augmentant leur exposition aux emprunts d’Etat sans risque ou aux obligations d’entreprises de qualité «investment grade» à échéances longues, et ce indépendamment de l’évolution des marchés actions.

Dès que les bourses américaines perdront de leur dynamisme,
les bons du Trésor américain devraient aussi en bénéficier.

Selon nos propres recherches, la corrélation entre les obligations américaines et les actions devrait rester négative, car d’une part la politique monétaire continuera d’être très accommodante et d’autre part, l’hypothèse d’un «désancrage» des anticipations d’inflation n’est pas retenue dans le scénario central. Par conséquent, dès que les bourses américaines perdront de leur dynamisme, qui est pour le moins étonnant, les bons du Trésor américain devraient aussi en bénéficier.

Un rendement qui attire les étrangers

Le supplément de rendement qu’offrent les bons du Trésor américain représente un autre moteur de la demande qui émane des investisseurs dont la monnaie de référence est autre que le dollar et qui vendent les obligations libellées dans leurs devises locales pour acheter des bons du Trésor couverts contre le risque de change à court terme. Ce potentiel de rendement supplémentaire des titres américains se trouve actuellement à son plus haut depuis 2015 pour les investisseurs allemands, britanniques et japonais. Il est de l’ordre de 100 à 120 points de base (pb) par rapport aux emprunts d’Etat japonais et allemands (en tenant compte de la couverture de change à six mois) et d’environ 60 pb par rapport aux «Gilts» britanniques à 10 ans.

De la rareté des échéances longues

Le troisième moteur de la demande, qui est susceptible de réduire la pression à la hausse sur les taux, réside dans la rareté relative des titres à échéances longues. A la fin mars 2021, le montant global des émissions du Trésor (y compris les billets du Trésor à court terme ou «T-Bills») s’élevait à 21 700 milliards de dollars. Sur ce total, 20,3% étaient des «T-Bills», 66,7% des obligations du Trésor et 6,5% des obligations indexées sur l’inflation. Durant ces 12 dernières années, les divers cycles d’assouplissement quantitatifs ont eu pour conséquence une modification des positions inscrites au bilan de la Fed et cette dernière détient actuellement 6,5% des «T-Bills», 28,9% des obligations du Trésor et 23,2% des obligations indexées sur l’inflation.

Mais, ce qui est plus intéressant encore, c’est que sur la totalité des obligations du Trésor, 12,5% seulement ont une échéance supérieure à 10 ans. Il existe donc un biais en faveur des échéances courtes. Ainsi, les titres à plus de 10 ans représentent un montant total qui n’est «que» de 2 700 milliards de dollars, dont 1020 milliards, soit une proportion de 37,8%, sont détenus par la Fed. Cela signifie que dans un monde en quête de rendement, le flottant en emprunts du Trésor américain à plus de 10 ans apparaît comme très modeste. Cela explique d’ailleurs l’engouement soudain et très marqué pour les bons du Trésor américain à 30 ans qui ont été proposés lors de l’adjudication du 13 avril dernier.

Dès le moment où les investisseurs finaux identifient un gisement de valeur, l’impact de leur mouvement paraît «inattendu». Cela dit, et pour dresser un tableau complet de la situation, il convient de préciser que les plus gros vendeurs de titres du Trésor américain en février et mars étaient presque tous enregistrés aux îles Caïmans... De fait, ceux qui ont fait grimper les rendements américains provenaient dans leur majorité d’un secteur axé sur le court terme, celui des hedge funds!

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