Les actions chutent alors que les banques centrales sévissent contre l’inflation

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Le S&P 500 subit un recul de plus de 20% par rapport à son sommet du mois de janvier, entrant en territoire de marché baissier pour la première fois depuis le début de la pandémie.

©Keystone

Il y a dix jours, le S&P 500 a cédé 5,8%, sa plus forte baisse hebdomadaire depuis mars 2020, suite aux nouvelles mesures fortes prises par les banques centrales pour combattre l’inflation. L’indice accuse désormais un repli de 23,4% par rapport à son sommet du mois de janvier. Il est entré en territoire de marché baissier pour la première fois depuis le début de la pandémie.

La Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé ses taux directeurs de 75 points de base (pb), une première depuis 1994. En outre, elle a indiqué que l’accélération du resserrement monétaire pourrait durer jusqu’à sa réunion du mois de juillet. Dans son rapport semestriel au Congrès sur la politique monétaire, la Fed a précisé que son engagement à restaurer la stabilité des prix est «sans réserve».

La Banque nationale suisse a surpris les marchés en relevant ses taux de 50 pb. Il s’agit de son premier relèvement de taux depuis quinze ans. La Banque d’Angleterre a relevé ses taux pour la cinquième fois depuis décembre. Seule la Banque du Japon maintient une politique monétaire extrêmement souple.

Des craintes liées à l’inflation…

Ces mesures ont accentué l’impression que l’inflation élevée est la principale préoccupation des banques centrales et que ces dernières veulent durcir rapidement leur politique monétaire, quitte à accentuer le risque de récession.

L’indice VIX de volatilité implicite des actions américaines a clôturé la semaine en question à 31, un niveau cohérent avec des fluctuations journalières du S&P 500 d’environ 2%. Les marchés obligataires sont, eux aussi, restés volatils. Le rendement des bons du Trésor américain à dix ans a grimpé à 3,48% avant de se stabiliser à 3,23%.

… et à l’approvisionnement

Outre l’inquiétude inspirée par le resserrement monétaire, les investisseurs redoutent de plus en plus de nouvelles ruptures d’approvisionnement énergétique en provenance de Russie. Il y a dix jours, Gazprom, dont le principal actionnaire est l’Etat russe, a réduit de 60% le débit de gaz dans son gazoduc Nord Stream 1 qui dessert l’Allemagne. Gazprom a invoqué des problèmes techniques mais Berlin a dénoncé une décision politique.

Cela accentue le risque de récession dans la principale économie d’Europe, mais aussi la nécessité de faire retomber l’inflation, qui a atteint 7,9% en glissement annuel en mai. La Russie a également réduit ses livraisons de gaz à l’Italie et à la Slovaquie.

A quoi faut-il désormais s’attendre?

Le regain d’orthodoxie des banques centrales crée un contexte plus difficile pour la croissance économique et pour les marchés d’actions. Le risque de récession augmente et l’atterrissage en douceur de l’économie américaine semble de plus en plus difficile à orchestrer. Le discours de la Fed restera probablement empreint de fermeté jusqu’à ce qu’il y ait des signes plus tangibles de décélération de l’inflation.

Sa persistance et la réaction de la Fed ont fait grimper les anticipations relatives au niveau des taux directeurs à la fin du cycle de resserrement. Même si la Fed ne sera peut-être pas obligée de porter ses taux à 4% en pratique, le risque qu’elle le fasse (et qu’une récession s’ensuive) s’est accentué.

Compte tenu de ce risque, la Recherche d’UBS est d’avis que le rendement des bons du Trésor américain à dix ans se situera à 3,25% en décembre et elle n’exclut pas qu’il atteigne un niveau encore plus élevé dans l’intervalle. La volatilité devrait perdurer sur les marchés obligataires, alimentée par les annonces de politique monétaire, par les chiffres d’inflation publiés et par les anticipations d’inflation. Il faudra probablement attendre 2023 pour que les rendements diminuent et que les participants au marché commencent à envisager la possibilité de baisses de taux directeurs pour soutenir la croissance.

Les risques sur l’activité économique

Alors que la Fed et d’autres grandes banques centrales mettent encore plus l’accent sur la lutte contre l’inflation, les risques qui pèsent sur l’activité économique s’accentuent. Le resserrement des conditions financières qui résulte de la hausse des rendements, de l’augmentation des écarts de crédit et de la correction des marché d’actions devrait peser sur la production.

Les taux de crédit hypothécaire aux Etats-Unis ont atteint leur plus haut niveau depuis 2009, ce qui refroidit le marché immobilier. En outre, les indicateurs économiques américains suggèrent un fléchissement de la dynamique de croissance. Le baromètre GDPNow de la Fed d’Atlanta, qui donne une estimation du taux de croissance trimestriel du PIB réel en rythme annualisé, est tombé de 2,5% le 17 mai à 0%.

Les prévisions revues à la baisse

Dans ce contexte, le potentiel de hausse des actions d’ici la fin de l’année semble désormais plus limité. Pour refléter cette nouvelle donne, la Recherche d’UBS a ramené son objectif de cours en décembre pour le S&P 500 à 3900 points. Cela reflète une révision à la baisse de sa prévision de bénéfice par action en 2023 (-2% à 235 dollars) et de son estimation du juste ratio cours/ bénéfices (de 17,9 à 16,6) eu égard à la hausse attendue des rendements obligataires.

Dans la zone euro, la dynamique de croissance est en train de fléchir, tandis que le regain d’incertitude quant à l’approvisionnement futur en gaz russe et le risque de fragmentation du marché obligataire accentuent les risques macroéconomiques. La Recherche d’UBS a réduit de 15% son objectif de cours pour l’EuroStoxx 50 en décembre, à 3400 points (autour de son niveau actuel).

Les questions à se poser dans l’immédiat
  • La confiance des entreprises résiste-t-elle au resserrement monétaire?
    Les indices des directeurs d’achat en juin aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro permettront d’apprécier si les récents relèvements de taux directeurs et les signaux d’orthodoxie monétaire ont un impact sur le moral des dirigeants d’entreprises. Les économistes tablent sur des chiffres qui suggèrent un ralentissement de la croissance mais qui restent toujours supérieurs à des niveaux synonymes de contraction de l’activité.
  • Les rendements à la périphérie de la zone euro vont-ils repartir à la hausse?
    Il y a dix jours, l’écart de rendement souverain à dix ans entre l’Italie et l’Allemagne a atteint son plus haut niveau depuis 2020, avant de retomber après l’annonce par la Banque centrale européenne d’une accélération de la mise en place d’un nouvel outil «antifragmentation». Les investisseurs seront très attentifs à l’évolution des écarts des obligations de la périphérie de la zone euro, une augmentation étant susceptible d’accentuer l’inquiétude quant à l’économie.
  • La Russie fermera-t-elle encore les vannes de ses gazoducs vers l’Europe?
    La récente diminution des exportations de Gazprom vers l’Allemagne et l’Italie a relancé l’incertitude quant à l’avenir de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe. On observe un souci grandissant de la sécurité énergétique, qui s’inscrit dans le cadre plus général de l’entrée dans «l’ère de la sécurité» dans plusieurs domaines tels que l’alimentation et les données.
Comment investir?
  • Gérer la liquidité
    Sur des marchés volatils, une gestion efficace de la liquidité peut permettre d’atténuer le risque de vente forcée pour honorer des engagements et pour permettre aux investisseurs de saisir des opportunités à plus long terme lorsqu’elles se présentent.
    Les investisseurs seraient bien avisés d’envisager de constituer un portefeuille d’obligations de grande qualité à échéances échelonnées calquées sur leurs besoins de trésorerie sur un horizon de trois à cinq ans. Les investisseurs pourront ainsi profiter des taux d’intérêt plus élevés et se couvrir contre la volatilité des marchés obligataires.
  • Mettre en place des stratégies défensives
    Même si la volatilité devrait rester marquée et la croissance ralentir, les investisseurs peuvent privilégier les segments plus défensifs, qui sont susceptibles d’atténuer les fluctuations des marchés et qui devraient surperformer en cas de récession. La Recherche d’UBS apprécie particulièrement les titres qui génèrent des revenus de qualité, les actions qui versent des dividendes et les valeurs de la santé.
  • Se positionner dans l’optique de l’entrée dans l’ère de la sécurité
    Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, les gouvernements et les entreprises s’adaptent à cette ère de la sécurité sur plusieurs plans (énergie, données et alimentation). A plus long terme, cela devrait stimuler la demande de solutions de réduction des émissions de CO2, de cybersécurité et d’amélioration des rendements agricoles.
  • Accroître l’exposition aux stratégies axées sur la valeur
    S’agissant des actions, un environnement marqué par des anticipations de hausse des taux d’intérêt et une forte inflation est davantage favorable aux valeurs décotées qu’aux valeurs de croissance. Historiquement, une inflation supérieure à 3% s’accompagne d’une surperformance des valeurs décotées. On privilégie le secteur de l’énergie et le marché britannique, qui fait la part belle aux valeurs décotées. Ces deux segments surperforment le marché élargi cette année et cela devrait durer.
    En revanche, la hausse des rendements réels est généralement défavorable aux valeurs de croissance. La Recherche d’UBS a formulé un avis Least Preferred à l’égard des valeurs de croissance et du secteur de la consommation discrétionnaire.
  • Se préparer à de nouveaux accès de volatilité
    Un environnement caractérisé par une volatilité marquée peut être l’occasion d’accentuer l’exposition au marché par le biais de structures alternatives au profil de «payoff» attrayant comme les produits structurés et les options. Une approche dynamique de l’allocation d’actifs ou des structures qui offrent un certain degré de protection du capital peuvent également permettre aux investisseurs de gérer les risques baissiers.
  • Se diversifier à l’aide des actifs alternatifs
    La capacité des hedge funds à procurer des rendements non corrélés est particulièrement appréciable lorsque le spectre d’une hausse des taux d’intérêt accentue la corrélation entre les actions et les obligations. Certaines stratégies de hedge fund comme celles de la catégorie macro peuvent également bien se comporter en cas de récession. Enfin, la correction actuelle peut être l’occasion d’accentuer l’exposition au private equity à long terme.
    Depuis 1995, le rendement annuel moyen des fonds internationaux de rachat sensibles à la croissance économique mondiale, lancés un an après que l’indice MSCI All Country World ait atteint un sommet, s’élève à 18,6%, contre 8% pour les millésimes lancés deux ans après le point culminant des actions cotées, selon Cambridge Associates.

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