Le Winston de l’Europe

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Ce n’est certes pas la débâcle mais l’Europe est éprouvée. 80 ans après, trouvera-t-elle son nouveau Churchill avec Angela Merkel?

L’Allemagne d’Angela Merkel vient de prendre pour six mois la Présidence de l’Union Européenne, ce qui ne pouvait mieux tomber, pour elle, comme pour l’Europe. La Chancelière allemande, déjà célébrée à maintes reprises comme la femme la plus puissante du monde, arbore tous les attributs d’un leader exemplaire et inspirant. Au sortir de la crise du confinement, elle pourrait bien les mettre au service d’une Europe convalescente.

Sur le plan domestique, l’Allemagne affiche un bilan sanitaire remarquable. Le pays ne sera certes pas épargné par la crise économique, mais il devrait s’en tirer moins mal que d’autres, d’autant que, depuis des années, son gouvernement s’est ménagé les moyens économiques et financiers de faire face à un tel choc.

Il serait plus juste de parler d’un sens aigu de l’adaptation, et d’une capacité
à se remettre en question après réflexion, sans déroger à ses principes.

Ainsi, Angela Merkel retrouve-t-elle son leadership tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, après un «trou d’air» qui arborait les stigmates d’une triste fin de règne. A la tête du pays depuis 2005, «Mutti», ne pourrait être plus éloignée de l’image d’une mère abusive et infantilisante. Les qualités dont elle fait preuve, d’autres les ont déjà énumérées et je n’en retiendrai qu’une: sa formidable capacité à construire un consensus, sans pour autant y sacrifier son autorité. N’oublions pas qu’Angela Merkel a dû exercer ses trois mandats dans le cadre de coalitions pour le moins changeantes et fragiles. Cela a beau être une «tradition» politique allemande, elle a dû et doit encore arbitrer entre des formations dont les intérêts se contredisent souvent, tout en restant attentive aux aspirations de la population. Cela s’est manifesté par des décisions politiques fortes, et parfois même abruptes, comme le retrait du nucléaire après l’accident de Fukushima en 2011, la décision d’ouvrir les frontières du pays aux migrants à l’été 2015, l’adoption d’un salaire minimum en 2015 et tout récemment, l’initiative d’un plan budgétaire européen. Rien de cela n’allait de soi, et beaucoup ont reproché à la Chancelière ces virages sans précaution.

Il serait plus juste de parler d’un sens aigu de l’adaptation, et d’une capacité à se remettre en question après réflexion, sans déroger à ses principes. A l’approche de la fin de son mandat, Angela Merkel semble bien avoir pris la mesure des nouveaux défis qui attendent son pays, et la nécessité de se réinventer. A l’intérieur, elle n’a pu enrayer la montée des extrêmes, ni le sentiment du creusement des inégalités et de l’insécurité.  A l’extérieur, l’Allemagne globalisée s’est retrouvée plus dépendante qu’influente. Sur le plan militaire, le parapluie nucléaire américain s’est un peu décousu mais pèse encore sur la politique du pays. Au plan économique, la Chine est devenue la première destination de ses exportations, mais aussi son premier fournisseur. La Russie lui fournit une grande partie de son gaz et de son pétrole. Son modèle économique fondé sur le commerce extérieur et sur l’automobile (respectivement 45% et 20% du PIB), s’est avéré vulnérable.

La Chancelière a repris à son compte et selon des termes
acceptables pour elle, l’idée d’un financement commun.

Aussi est-ce du côté de l’Union Européenne que l’Allemagne pourrait trouver le moyen de se refonder et de se projeter en devenant le trait de (ré-)union entre l’Europe du Nord et du Sud, entre celle de l’Ouest et celle de l’Est. Son économie le lui permet et le Brexit lui laisse le champ libre sur le continent.  Se recentrer et contribuer activement au rebond de l’Union Européenne constituerait pour l’Allemagne une double opportunité: peser de tout son poids sur les orientations économiques et institutionnelles de l’Union; porter et faire prévaloir les principes et les objectifs européens à l’international, face aux très grandes puissances. Par son expérience et sa stature, Angela Merkel semble bien la seule à pouvoir fédérer toutes les parties en présence.

Ainsi, le Parlement allemand vient de légiférer pour autoriser la Bundesbank à poursuivre ses achats d’obligations d’Etat pour le compte de la BCE, coupant court à la polémique suscitée par la décision de la cour de Karlsruhe. De même, en présentant avec la France le plan budgétaire européen, la Chancelière a repris à son compte et selon des termes acceptables pour elle, l’idée d’un financement commun.

Mais la gageure sera à la hauteur de l’ambition, car Angela Merkel ne manquera pas de critiques ni de contradicteurs en Europe. Il y a eu la crise grecque, les «malentendus» franco-allemands, les relations avec la Turquie etc… Sa fermeté récente à l’égard du Royaume-Uni, pourrait lui valoir encore d’autres attaques.

Reconnue ou contestée, Angela Merkel est respectée partout. Difficile de penser qu’un destin de plus grande envergure ne s’offrira pas à elle au sortir de la Chancellerie.

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