L’Europe est en crise. Trop d’années de faible croissance souvent marquées par la paupérisation de la classe moyenne, l’empilement de normes, de contraintes et d’oukases qui limitent ses capacités concurrentielles l’y ont conduite. L’innovation se fait essentiellement ailleurs, l’industrie automobile saigne, les agriculteurs meurent. Le coût de l’énergie est un boulet pour nos industries et pour le pouvoir d’achat des ménages. Les partis politiques traditionnels perdent les uns après les autres le pouvoir au profit de partis défendant une autre politique migratoire, sécuritaire, commerciale. L’Europe aujourd’hui manque de vision économique, de volonté, d’envie. Le crédo de Mario Draghi, «investir ou mourir», n’a pas trouvé d’écho, la gouvernance européenne est comme figée, congelée.
Le marché européen des actions a ainsi logiquement pris beaucoup de retard par rapport au marché américain mais quelques bonnes nouvelles se font jour pour les actions européennes.
La première est qu’il semble que la déprime européenne soit bien intégrée par les marchés dans la valorisation des actions. Le ratio cours sur bénéfices à 12 mois de l’indice Stoxx600 est de 14 fois alors que celui de l’indice américain Standard and Poor’s 500 se monte à 23 fois et celui du Nasdaq de 29 fois. L’écart transatlantique actuel entre les valorisations est à un niveau très élevé sur une base historique. Des comparaisons intra sectorielles entre des sociétés comparables par leurs réalisations et leurs perspectives éclairent cet écart. Dans le secteur de l’industrie aéronautique, Safran traite avec un discount de 20% à l’égard de General Electric comme la danoise Novo Nordisk à l’égard de l’américaine Eli Lilly dans le secteur pharmaceutique. Dans celui des produits de consommation courante, l’anglais Reckitt Benckiser est sous-valorisé de 40% par rapport à l’américain Colgate Palmolive! Bien sûr, une partie des sous-valorisations observées peut se justifier structurellement par des différences marquées entre les deux écosystèmes mais l’exagération est patente. La deuxième bonne nouvelle pourra bien être le catalyseur du rattrapage boursier attendu.
Cette deuxième bonne nouvelle pour l’économie et les marchés européens est l’élection de Donald Trump, anxiogène à certains égards mais aussi porteuse de possibilités inattendues qui devraient favoriser l’économie et les entreprises européennes. Cette affirmation est probablement perçue comme choquante par nombre d’entre nous qui avons tous subi les effets d’un oppressant «Trump bashing» au cours des derniers mois. L’expérience du premier mandat présidentiel de D. Trump nous enseigne cependant qu’il ne faut pas se focaliser sur ses mots ni ses outrances – qui s’inscrivent le plus souvent dans le cadre d’une négociation en cours ou à venir - mais plutôt sur les actions qu’il mène, généralement rationnelles sur un plan strictement économique. Un exemple: la hausse des droits de douane contre l’Europe relève selon nous plus d’une menace que d’une réalité brute. Elle est une manœuvre visant à forcer l’Europe à prendre sa part dans le financement de sa propre défense, ce qui pourra d’ailleurs avoir un impact durablement positif sur son industrie de défense. L’élection américaine amène trois autres facteurs positifs potentiels. Le premier pourrait être celui d’un règlement rapide du conflit en Ukraine. Les termes de cette résolution pourraient ne pas être en ligne avec les attentes européennes mais elle aurait le mérite de réduire à terme la facture énergétique, d’offrir aux entreprises européennes de gros contrats d’infrastructure, de favoriser le retour des touristes russes et de détendre la situation géopolitique actuelle. Le deuxième facteur a trait à l’économie de combat que Trump promet de construire. Le commerce mondial selon Trump va forcer la Chine à renforcer sa consommation afin que celle-ci compense l’affaiblissement de ses exportations vers les Etats-Unis occasionné par le relèvement effectif des barrières douanières américaines contre les importations chinoises.
Une croissance plus vigoureuse en Chine, notamment tirée par la consommation, profiterait aussi aux exportateurs européens qui ont souffert ces derniers temps d’une demande chinoise en berne. Enfin, le troisième facteur positif est la volonté de Donald Trump d’un soutien fort à la croissance américaine. En effet, une large part des mesures envisagées comme la réduction de l’immigration et la hausse des barrières douanières sont inflationnistes, notamment dans le contexte américain de quasi plein emploi. Les mesures impulsées par Elon Musk en faveur d’une administration moins coûteuse et plus efficace pourront certes réduire ces pressions inflationnistes mais avec un décalage. A terme, cette inflation américaine orientera les flux d’investissements des Etats-Unis vers le reste du monde, dont l’Europe, en dévalorisant simultanément le dollar, au bénéfice de la valorisation des actifs non américains.
Ainsi, les rapports de force économiques qui se modifient ne sont-ils probablement pas si négatifs pour l’Europe. Mais pour que son rattrapage boursier attendu ne soit pas qu’un vain feu de paille, il convient que l’Union européenne se fixe rapidement des objectifs résolument et pragmatiquement favorables à la croissance et à son financement. L’agressivité économique américaine constituera une incitation majeure à cette nécessaire métamorphose mais est-elle encore possible? Combien de temps faudra-t-il attendre avant qu’une politique énergétique réaliste voie le jour? Un grand programme d’investissement en faveur de l’innovation financé par une dette mutualisée est-il envisageable aujourd’hui? Le «quoiqu’il en coûte» ou sa version «watever it takes»1 ne sont-ils actionnables que lorsque l’on est au pied du mur? Eh bien nous y sommes! Les seuls combats perdus d’avance sont ceux que l’on n’engage pas.
1 Mario Draghi – BCE - 2012