
Les initiatives de durabilité mondiale – de l’Accord de Paris aux engagements nationaux de neutralité carbone – visent à réduire l’usage des énergies fossiles au profit d’énergies plus propres. Pourtant, contre toute attente, la consommation mondiale de pétrole continue d’augmenter, atteignant récemment des niveaux record. En 2023, la demande mondiale de pétrole a dépassé les 100 millions de barils par jour (mbj) pour la première fois, et ce malgré la montée en puissance des énergies renouvelables et des véhicules électriques. Cette tendance souligne une réalité complexe: le pétrole reste profondément enraciné dans l’économie mondiale, et les efforts actuels n’ont pas encore inversé la croissance de sa consommation.
En termes généraux, la combinaison de dépendance économique, de considérations géopolitiques et d’infrastructures figées rend le pétrole indispensable à l’économie mondiale. Plus surprenant encore, les gains d’efficacité dans l’exploration et la production renforcent la résilience du pétrole.
Le graphique 1 montre que la consommation pétrolière continue de croître et reste la première source d’énergie dans le monde.
Efficacité et paradoxe de Jevons: quand «moins» devient «plus»
Si l’ancrage du pétrole dans l’économie mondiale était attendu, l’impact des gains d’efficacité sur sa résilience l’était beaucoup moins. De manière paradoxale, une meilleure efficacité ne mène pas toujours à une réduction de la consommation – elle peut, au contraire, l’accroître. C’est ce que l’on appelle le paradoxe de Jevons: une situation dans laquelle le progrès technologique, ou une politique visant à améliorer l’efficacité de l’utilisation des ressources, conduit involontairement à une hausse de la consommation, car la baisse des coûts et l’élargissement de l’accès stimulent la demande.
Nommé d’après l’économiste britannique William Stanley Jevons, ce paradoxe a été observé pour la première fois au XIXe siècle dans l’industrie du charbon. Mais il s’applique de manière significative au pétrole aujourd’hui. Comme ce fut le cas pour le charbon à l’époque, les améliorations d’efficacité dans le pétrole entraînent une augmentation de la consommation globale plutôt qu’une baisse. Les progrès dans l’extraction, le raffinage et l’utilisation du pétrole réduisent le coût par unité d’énergie, rendant cette ressource plus accessible et stimulant ainsi la demande. Par exemple, des innovations comme le fracking (ou fracturation hydraulique) réduisent les coûts d’extraction, permettant une production accrue – et donc une utilisation plus importante du pétrole.
Les entreprises de services pétroliers jouent un rôle central dans cette dynamique. Elles mettent en œuvre diverses techniques pour maximiser la récupération du pétrole et du gaz à partir de gisements nouveaux ou existants, ce qui peut, de fait, augmenter la consommation pétrolière.
Mais ce ne sont pas seulement les améliorations dans la production qui affectent le secteur. Les économistes ont constaté que les gens voyagent davantage lorsque leurs véhicules sont plus économes en carburant. Dans le cas d’une demande élastique (c’est-à-dire une demande qui varie plus que proportionnellement par rapport aux prix), une amélioration de 20% de l’efficacité grâce à une baisse des prix peut entraîner une augmentation de 40% des déplacements (voir graphique 2). Résultat: la consommation de carburant augmente, et le paradoxe de Jevons se manifeste.
L’explosion inédite de la production pétrolière américaine
Les États-Unis illustrent parfaitement le paradoxe de Jevons. Au cours de la dernière décennie, le fracking et le forage horizontal ont déclenché un boom pétrolier, faisant des États-Unis le premier producteur mondial. En 2023, la production américaine (y compris pétrole brut, condensats et autres liquides) représentait environ 22% de la production mondiale de pétrole. Le fracking a permis d’exploiter d’immenses réserves de pétrole de schiste auparavant inaccessibles, notamment dans des bassins clés comme le Permian (Texas et Nouveau-Mexique), le Bakken (Dakota du Nord) et l’Eagle Ford (Texas).
Les gains d’efficacité ont permis aux producteurs d’extraire le pétrole à moindre coût, inversant ainsi la tendance baissière observée depuis les années 1970. La production américaine de brut a atteint des niveaux record (environ 12 à 13 mbj de brut, et plus de 20 mbj si l’on inclut les liquides de gaz naturel et les biocarburants), dépassant l’Arabie Saoudite et la Russie. Parallèlement, les États-Unis restent le premier consommateur mondial de pétrole, avec environ 20 mbj, soit environ 20% de la consommation mondiale. Les graphiques 3 et 4 montrent la production américaine de brut et la consommation d’énergie pétrolière en térawattheures (TWh).
La demande en pétrochimie augmente
Les produits pétrochimiques – dérivés du pétrole et du gaz – constituent les composants de base des plastiques, engrais, fibres synthétiques et d’innombrables produits de consommation. La demande mondiale pour ces matériaux est en forte croissance. Ils sont omniprésents dans la vie moderne: emballages, matériaux de construction, pièces automobiles, engrais agricoles, etc.
Les matières premières pétrochimiques représentent déjà environ 12% de la demande mondiale de pétrole, et cette part devrait encore augmenter avec la consommation croissante de plastiques, d’engrais et d’autres produits issus de la pétrochimie. En fait, les pétrochimiques sont devenus l’un des principaux moteurs de la croissance de la demande de pétrole: ils devraient représenter plus d’un tiers de la croissance de la demande pétrolière d’ici 2030, et près de la moitié d’ici 2050 (voir graphique 5).