Le marché teste la Fed

Axel Botte, Ostrum AM

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Le T-note touche 1,60% entrainant une correction sur les actions. Le billet vert remonte. Le crédit résiste.

©Keystone

Les tensions sur les taux américains sont déterminantes pour la plupart des marchés d’actifs risqués. Sur le T-note, février 2021 affiche le pire rendement total mensuel (-2,73%) depuis janvier 2009. Le 10 ans a connu une forte accélération haussière jusqu’à 1,60% en séance mercredi déclenchant une baisse forte du Nasdaq. Malgré l’accalmie de vendredi (1,40% en clôture), la nervosité des intervenants est palpable. Le sommet des taux aura aussi coïncidé avec un point bas sur le dollar. Le billet vert reste le baromètre ultime de l’aversion pour le risque. Le rebond motivé par des rendements réels plus élevés remet en cause l’engouement pour les cryptomonnaies ou les valeurs de croissance richement valorisées. 

Par ailleurs, les gestions (dites ‘risk-parity’) allouant selon les risques relatifs entre classes d’actifs sont perturbées par la hausse conjointe des volatilités des actions et des taux, ce qui tend à accentuer le repli vers le monétaire. L’ajustement des actions pourrait désormais faire tache d’huile sur le crédit. La perception d’un durcissement des conditions financières est de nature à produire un mouvement homothétique des taux vers les spreads. Mais, pour l’instant, les marches du crédit ont bien résisté aux tensions sur les taux sans risque.

Le secteur du logement demeure solide avec une forte progression
des ventes de maisons neuves et une accélération des prix.

L’argument liant le décrochage des indices actions à la hausse des taux restera valide cette semaine mais la narrative intégrera aussi les bonnes publications économiques américaines. L’ISM manufacturier indique la poursuite d’un cycle industriel solide, à peine perturbé par les évènements climatiques et l’arrêt temporaire de sites de production pétrolière. Les prix de l’or noir ont de nouveau bondi la semaine passée (Brent à 64 dollars) en amont de la réunion de l’Opep. Le cartel avait annoncé une plus forte réactivité aux prix et une hausse de la production de brut semble pleinement justifiée. Les tensions politiques entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite pourraient cependant peser dans la décision du Royaume. 

Parallèlement, la consommation réelle des ménages s’est envolée de 2% en janvier. Le déflateur de la consommation remonte à 1,5%. Le secteur du logement demeure solide avec une forte progression des ventes de maisons neuves et une accélération des prix au- delà de 10% sur douze mois. Les commandes de biens durables confirment la reprise de l’investissement. Cela est de bon augure pour l’emploi. La vaccination reste néanmoins cruciale pour réduire l’excès de chômage concentré dans les secteurs liés au tourisme.

En termes de stratégie, la très forte volatilité des taux traduit la difficulté des Banques Centrales à maintenir leurs politiques de répression financière alors que l’inflation et l’activité économique se redressent. Une position d’attente parait justifiée. Les rachats de Treasuries vendredi semblent attribuables aux ajustements de sensibilité en fin de mois. Les marchés vont continuer à tester l’engagement de la Fed à laisser dériver l’inflation. Le déficit de crédibilité actuel résulte des appels maintes fois répétés à une politique budgétaire plus active prenant le relai d’une politique monétaire à bout de souffle. Pour cette raison, il est peu probable que la Fed maintienne le statu quo monétaire jusqu’en 2023. Les maturités intermédiaires (5-7 ans) sont les plus attaquées. La faiblesse de la demande à l’adjudication de 7 ans aux Etats-Unis témoigne du dilemme auquel la Fed est confrontée. Cette transaction s’est soldée avec une amplitude (‘tail’) de taux offerts à l’adjudication de plus de 4pb, un niveau inédit depuis 2013. 

En zone euro, la BCE n’a pas manqué d’intervenir
verbalement pour limiter la hausse des taux.

La courbe des taux change aussi de dynamique. La hausse de la volatilité favorise la mise en œuvre de stratégies d’aplatissement. Le spread 5-30 ans s’est brutalement réduit de 20pb la semaine passée, ce qui est cohérent avec la stabilisation des points morts d’inflation malgré l’envolée du pétrole. En zone euro, la BCE n’a pas manqué d’intervenir verbalement pour limiter la hausse des taux. Les interventions hebdomadaires (arrêtées à mercredi) ne rendent pas totalement compte de l’activité de la banque centrale, par manque d’informations sur la répartition géographique et le choix des maturités. La flexibilité du QE (PEPP, APP) permet en outre des achats ciblés en cas de tensions. Le Bund s’est échangé jusqu’à -0,20% et ce mouvement s’est initialement décliné sur les spreads souverains ramenant le BTP italien au-delà du seuil des 100pb à 10 ans. L’Italie devrait lancer son premier emprunt vert cette semaine. L’Allemagne émettra une deuxième souche en mai avec un nouveau 30 ans.

La hausse des rendements provoque des réallocations d’actifs par les investisseurs finaux. Aux Etats-Unis comme en zone euro, les fonds de crédit, de dette émergente en dollars ou encore de high yield enregistrent des sorties de fonds. Les spreads de crédit s’écartent légèrement. L’investment grade en euros s’élargit de 3pb contre Bund à 89pb. Le high yield sous-performe (+6pb sur la semaine) mais conserve l’essentiel du rally de février (-34pb).

La tendance s’inverse sur les actions. Le Nasdaq a corrigé de 5% et seule l’énergie (pétrole en hausse, faible bêta) surnage. Le VIX a retouché 30% trois fois dans la semaine. En zone euro, la pentification de la courbe des taux profite aux banques qui reprennent 20% sur un mois contre 3% pour l’EuroStoxx. Les matières premières et les cycliques bénéficient du rebond du billet vert. Enfin, la faiblesse du yen (107 contre dollar) entraine un rebond du Nikkei. L’indice nippon est le plus performant en 2021 (+8%) parmi les principaux indices (+1,5% pour le S&P, +3,5% pour l’EuroStoxx 50 et 2,3% à Shanghai).

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