Le choc de productivité de la pandémie

Christopher Smart, Barings

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Les mesures de confinement vont permettre de réduire les coûts et accélérer l’innovation technologique, mais gare aux secousses politiques.

© Keystone

Avec son idée de «destruction créatrice», Joseph Schumpeter décrivait dans des termes devenus classiques la manière dont l’apparition de nouvelles entreprises est empêchée par la survivance des anciennes. Cette pandémie, un peu comme une météorite tombant de l’espace, aura également provoqué une «destruction destructrice» significative et les investisseurs doivent désormais déterminer ce qui va en émerger lorsque l’on pourra de nouveau se serrer les mains, se presser dans les magasins et remplir les stades.

Selon les prévisions du consensus économique, les prochaines années seront marquées par une faible inflation, ainsi que des taux d’intérêts et des rendements bas, avec un nombre important cependant d’îlots de productivité croissante et de rendements attractifs. Le grand défi pour les marchés sera de trouver un équilibre entre les promesses financières de modèles d’entreprise novateurs et les coûts politiques d’une hausse du chômage.

A très court terme, les gains de productivité viendront des coupes budgétaires classiques engendrées par chaque récession économique. Pour rappel, il y a une année, les observateurs s’inquiétaient du fait que l’expansion américaine, surpassant tous les records, aurait mené les entreprises à se reposer de plus en plus sur leurs lauriers.

Le choc initial provoqué par le confinement et la réduction brutale de la main-d’œuvre qu’il a entraînée auront du moins eu un effet positif temporaire aux Etats-Unis, où la productivité pour le second trimestre a augmenté de 10,1%. Cette situation ne se prolongera pas en automne et en hiver avec le retour au travail d’un grand nombre de salariés, mais les hôtels, magasins et restaurants à forte intensité de main-d’œuvre (les plus touchés par les effets du confinement) ne pourront pas rappeler tout le monde de sitôt. Et c’est là que commencent les problèmes à plus long terme.

Les faillites et les opérations de consolidation
entraîneront leurs propres gains de productivité.

Les prochaines suppressions d’emploi pourraient se faire de manière plus progressive, en parallèle d’une abolition graduelle mais inévitable des allocations chômage aux Etats-Unis et des politiques de chômage partiel mises en place en Europe. Mais il est certain qu’il y en aura, notamment lorsque les échéances de paiement arriveront pour les entreprises à l’apparence liquides, mais non solvables. Les faillites et les opérations de consolidation entraîneront alors leurs propres gains de productivité.

Mais la productivité est à la baisse aux Etats-Unis, en Europe et au Japon depuis plusieurs cycles économiques, signifiant que le problème dépasse la dimension cyclique et laissant de nombreux économistes perplexes. Certains pointent du doigt le sous-investissement, d’autres affirment que les statistiques ne rendent pas compte des gains réels, et d’autres encore mettent la faute sur les plans d’aide gouvernementaux et cet argent facile qui aurait maintenu à flot des entreprises dites «zombies».

Ces «morts-vivants» ont en effet constitué une force de ralentissement importante, une nouvelle étude de la Banque des règlements internationaux estimant que leur part parmi les entreprises de 14 pays différents a plus que triplé durant ces trois dernières décennies. Pire encore, seul un quart d’entre elles a fait faillite, alors qu’environ deux tiers sont sorties de leur statut officiel de zombie et parviennent à survivre avec une rentabilité sous-optimale par rapport à leurs pairs.

Une impulsion supplémentaire à la productivité viendra, en revanche, de la vague d’innovation technologique, déjà extrêmement dynamique avant le confinement et qui ne peut que s’accélérer aujourd’hui.
Thomas Edison a déposé son brevet pour l’ampoule électrice en 1879 (certes, en s’appuyant sur les inventions de ses prédécesseurs), mais il aura fallu attendre des dizaines d’années pour que la capacité à travailler dans le noir ne transforme les modèles de production et d’entreprise. Si nous sommes arrivés aujourd’hui à la limite des gains initiaux à tirer de la globalisation et d’Internet, nous n’avons pas encore commencé à récolter pleinement les fruits d’une téléphonie mobile peu chère, du stockage numérique et des premières promesses de l’intelligence artificielle.

Ces progrès arriveront d’autant plus rapidement lorsque les entreprises commenceront à appliquer cette technologie aux nouveaux modèles de demande post-pandémie. Tôt ou tard, ces modèles pourraient revenir à leur forme pré-2020, tout comme ils ont pu le faire suite aux attaques du 11 septembre, à une période où le transport aérien semblait ne jamais pouvoir redevenir sûr. Mais si l’on recommence à participer à des conférences d’affaires tape-à-l’œil, celles-ci offriront plus de moyens de participation à distance. Et si nous recommençons à remplir des rangées de bureaux en open space, ce ne sera plus pour des semaines de 40 heures. Les chaînes de production et la dotation des hôtels en personnel seront également améliorées.

Nous sommes à la veille d’une évolution où la technologie à distance et les algorithmes
vont détruire une large partie des postes administratifs et de cadres moyens.

Tous ces changements semblent favorables à la productivité générale et à la profitabilité pour les investisseurs qui sauront identifier les meilleurs modèles et localiser les meilleures entreprises et les meilleurs dirigeants pour stimuler l’innovation. Mais le point commun à toutes ces transformations reste la destruction d’emplois au sein des entreprises existantes. Si l’automatisation a déjà décimé un grand nombre d’emplois dans le secteur manufacturier, nous sommes à la veille d’une évolution où la technologie à distance et les algorithmes vont détruire une large partie des postes administratifs et de cadres moyens. Et sans les politiques étatiques appropriées, nous devrons faire face à un nombre grandissant de travailleurs sans emploi, ou sous-employés.

Tout ceci nous ramène à Schumpeter, dont les paroles les plus célèbres ont été en fait inspirées d’une lecture approfondie de Karl Marx. Le capitalisme, selon Schumpeter, libère «un processus de transformation industrielle qui révolutionne en continu la structure économique depuis son intérieur, détruisant sans cesse l’ancienne, et en en créant sans cesse une nouvelle». De la même manière, cependant, il souligne qu’un processus reposant si fortement sur la destruction risque également de fragiliser ses propres fondations.

Avec l’augmentation de la productivité et l’émergence d’opportunités d’investissement issues de la destruction causée par la pandémie, nous serons également confrontés à des défis. Une attention tardive portée à la rentabilité des entreprises et un changement technologique profond pourraient alimenter de nouvelles vagues de mécontentement social, mettant en péril ces acquis. 

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