La hausse des taux réduit-elle le risque de call?

Akram Gharbi, La Française AM

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Dans une certaine mesure, la hausse des taux pourrait être favorable pour les stratégies à échéance à haut rendement.

Dans le contexte actuel de hausse de taux, les rappels anticipés ou «calls», qui représentaient un facteur de risque non négligeable il y a encore quelques mois pour les stratégies à échéance à haut rendement, apparaissent moins risqués aujourd’hui et on vous explique pourquoi.

RAPPEL DU CONTEXTE

La baisse significative des taux d’intérêts en Europe et aux États-Unis jusqu’à fin 2021 (en raison des politiques monétaires ultra-accommodantes) et la forte compression des primes de risque de crédit ont nettement accéléré les remboursements anticipés («call») des émetteurs privés et particulièrement les sociétés High Yield. Une grande partie de ces entreprises ont profité de cette situation exceptionnelle pour optimiser leur bilan et refinancer leurs obligations à des conditions financières plus attractives (coupons plus faibles et échéances plus longues). Pour rappel, le coupon moyen des entreprises High Yield européennes a été divisé par 2 sur la dernière décennie passant de 7% fin 2013 à 3.5% fin 2021[1]. Ceci est notamment dû à la très forte baisse des taux d’intérêt (cf. graphique1).

MÉCANISME DES RAPPELS ANTICIPÉS DE DETTE («CALL»)

L’univers High Yield est majoritairement (75%) composé d’obligations qui disposent d’une option de remboursement anticipé («call») au choix de l’émetteur. Ce dernier sera incité à exercer ce remboursement anticipé si le taux qu’il peut obtenir sur les marchés obligataires est inférieur au coupon de sa dette initiale (à l’instar d’un ménage qui refinance son crédit immobilier).

Ce faisant, les rappels anticipés augmentent (baissent):

  • Lorsque les taux d’intérêts baissent (augmentent)
  • Et/ou lorsque les primes de risque de crédit se resserrent (s’écartent).

Le graphique ci-après compare le coupon moyen des dettes en circulation (courbe bleue) pour les émetteurs High Yield au rendement auquel ces mêmes émetteurs peuvent se refinancer sur le marché secondaire (courbe orange).

De mars 2017 à fin 2021, hormis une courte période en 2018 et l’année 2020 marquée par la crise du Covid, le coût de financement proposé aux émetteurs sur le marché (mesuré par le YTW) a été de 100 pbs voire 200 pbs inférieur au coupon moyen de leur dette en circulation. Cet écart a permis aux entreprises de rembourser leur dette pour en émettre une nouvelle à un coût plus attrayant. Ce paramètre a été très pénalisant pendant ces 5 années pour les fonds à échéance à haut rendement.  

La situation a changé depuis le début de l’année 2022 et devient nettement moins favorable car le coût de la dette sur le marché est désormais supérieur de 300bps au coût initial. Les remboursements anticipés ne seront plus actionnés et on pense que cette situation sera plus pérenne qu’en mars 2020 uniquement due à la crise sanitaire. Les raisons aujourd’hui sont principalement fondamentales: Taux d’intérêts plus élevés en raison d’un contexte inflationniste durable et primes de risques crédit plus larges en raison d’un atterrissage probable de la croissance.

Nous pensons que les fonds investis en obligations High Yield et en particulier les fonds à échéance ne devraient plus pâtir des remboursements anticipés, ou bien dans une proportion infiniment plus faible.

COMMENT LES RAPPELS ANTICIPÉS IMPACTENT-ILS LES FONDS À ÉCHÉANCE?

Les rappels anticipés sont un principe de bonne gestion pour les émetteurs puisqu’ils remplacent leur dette existante par une nouvelle dette dont le coupon est inférieur à celui de la précédente. À l’inverse, ils constituent un élément défavorable pour la performance des fonds à échéance. En effet, le rendement à échéance du fonds est calculé dans l’hypothèse que les obligations seront portées jusqu’à échéance. Si une obligation est remboursée par anticipation et que l’émetteur nous propose une dette dont le coupon est inférieur, alors le rendement à maturité du fonds est impacté à la baisse. Rappelons que les fonds à échéance (en raison de la contrainte sur l’échéance finale) sont souvent dans l’incapacité de «roller» leur exposition sur de nouvelles obligations contrairement à un fonds crédit ouvert.

Illustrons cette situation par un exemple concret d’un fonds à échéance fictif de 6 ans de maturité. Le fonds est initialement investi de façon équipondérée sur 3 obligations (A; B; C) dont la maturité est de 6 ans et dont le rendement à l’achat est de 5% pour chacune d’elle. Ainsi, le rendement actuariel du portefeuille à son lancement est de 5%.  

Supposons qu’au bout de 2 ans, l’émetteur «B» rappelle par anticipation son obligation de coupon 5% car il peut bénéficier de conditions de refinancements plus favorables. Dans ce cas 4 options s’offrent au gérant du fonds:

  • Conserver les liquidités perçues du remboursement en liquidités. Cela implique une dilution du rendement actuariel puisque les liquidités seront rémunérées à 0% vs un rendement à l’achat de l’obligation «B» de 5%. Le rendement actuariel moyen du portefeuille passe ainsi à 3.33% à l’année 2 vs 5% initialement.   
  • Investir l’argent reçu du remboursement dans une nouvelle dette aux conditions de marché du moment (disons à 3%). Le risque du portefeuille n’est pas dégradé mais le rendement l’est. Le rendement actuariel moyen du portefeuille passe ainsi à 4,3%.
  • Investir l’argent reçu du call dans les obligations restantes (A & C). Le rendement du portefeuille n’est pas dégradé mais son risque l’est car l’opération augmente la concentration du portefeuille et donc des pertes importantes en cas d’événement de crédit sur les émetteurs A et/ou C.  
  • Investir l’argent reçu du call dans une obligation plus risquée qui offre un coupon de 5% comparable à celui de l’investissement initial. Le rendement n’est pas dégradé mais le risque l’est.

Supposons maintenant qu’à la fin de l’année 4, l’émetteur «C» rappelle aussi son obligation 2 ans avant son échéance.  Les 4 mêmes options évoquées plus haut restent valables pour le fonds, toutefois le coût du risque sera plus important pour l’option 3 (une concentration encore plus forte) et les options 2 & 3 deviennent plus difficiles voire impossibles à réaliser. Si le gérant opte pour la 1ère solution (garder le cash dans le fonds car n’a pas d’alternative), le rendement du fonds se trouve encore dilué passant à 1.65% pour les 2 années restantes.

POURQUOI LA HAUSSE DES TAUX POURRAIT ÊTRE «UNE BONNE CHOSE» POUR LES FONDS À ÉCHÉANCE?

La hausse récente des taux d’intérêts et la hausse des primes de risque de crédit ont significativement impacté les prix des obligations. Ainsi, le prix moyen des obligations High Yield sur le marché secondaire est actuellement à 84% du pair (non loin du niveau observé lors de la crise du Covid).

Généralement, le prix moyen des calls se situe entre 100 à 102% et donc le prix de marché des obligations devrait revenir durablement au-dessus de ce niveau pour observer une reprise des rappels anticipés. Par conséquent, l'option de rappels anticipés («call») est aujourd’hui très en dehors de la monnaie (i.e.:  La probabilité d’exercice de cette option est quasiment nulle vu le prix actuel des obligations).  

Dans l’hypothèse optimiste d’une normalisation rapide du marché, le gain pour l’investisseur serait significatif car il bénéficierait d'une appréciation importante des prix des obligations qui vont converger vers la valeur de call et du portage. Autrement, dans une hypothèse de normalisation progressive, l’investisseur va bénéficier du portage obligataire sur une plus longue période (car les calls demeureront en dehors de la monnaie pour une longue durée) et d’une convergence des prix vers la valeur de remboursement.

CONCLUSION

Dans une certaine mesure, la hausse des taux pourrait être favorable pour les stratégies à échéance à haut rendement car:

  • Elle réduit le risque de rappel anticipé («call»)
  • Et permet d’améliorer le taux de réinvestissement en cas de rappel anticipé. Idem pour les coupons, ces derniers seront réinvestis sur des rendements stables voire supérieurs.

La hausse des taux réduit ainsi le décalage entre la promesse de rendement initial et la performance finale de l’investisseur (convergence du YTW vers le YTM) et permet de maintenir un coupon stable pour les investisseurs investis sur la part distribution.

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