La guerre des stablecoins est déclarée

Manuel Valente, Coinhouse

3 minutes de lecture

Chronique blockchain. Difficile de prévoir le futur mais force est de constater que Tether, acteur quasiment unique jusqu’à récemment, fait désormais face à une rude concurrence.

Il est utile de rappeler qu’un stablecoin est une cryptomonnaie dont le cours est adossé à un sous-jacent. Ce sous-jacent est en général le dollar américain, mais il peut être l'euro ou n’importe quelle autre monnaie fiduciaire. L’intérêt d’un tel actif est qu’il bénéficie de la rapidité et de la sécurité d’une blockchain, tout en évitant des fluctuations importantes. En somme, un stablecoin incarne la promesse d’utiliser un crypto-actif pour des paiements et des achats du quotidien.

Tether, le premier stablecoin significatif

Si pendant longtemps le marché des stablecoins était dominé par l’entreprise Tether et son actif l’USDT, sa dominance est aujourd’hui remise en cause par de nombreux facteurs. Lancé en 2014, Tether propose un actif dont la valeur est en théorie garantie: l’entreprise conserve sous séquestre un montant en dollars identique à la quantité d’actifs USDT en circulation.

Et le succès ne s’est pas fait attendre: avec 78 milliards d’unités actuellement en circulation, l’USDT est présent sur la plupart des plateformes d’échange de crypto-actifs et le volume d’échanges quotidien est en moyenne de 100 milliards de dollars, largement devant Bitcoin.

Les inconvénients du Tether

Une sérieuse ombre au tableau est cependant constamment présente : la confiance dans les réserves de Tether n’est pas au rendez-vous. En effet, une bonne partie des réserves censées garantir la valeur du Tether ne sont pas des dollars sonnants et trébuchants, mais entre autres des créances non sécurisées ou des actifs non fiduciaires. Des audits ont certes été réalisés à plusieurs reprises, mais les comptes en banque et les auditeurs sont situés dans des paradis fiscaux, comme les Bahamas. Ce qui est loin d’inspirer confiance.

Pire: 850 millions de dollars ont été prélevés dans la caisse pour couvrir les pertes de l’entreprise-mère Bitfinex en 2018, avant d’être remboursés quelques mois plus tard. Les autorités américaines ont tout de même infligé une amende de 41 millions de dollars à Tether pour cette incartade.

Quand la concurrence débarque

A cause de ces problèmes, la concurrence s’installe : les principaux challengers de l’USDT sont l’USD Coin (USDC), le BUSD, et le DAI. Leur plus-value consiste soit à réaliser des audits a priori plus sérieux, soit pour DAI à utiliser un système radicalement différent avec des crypto-actifs comme sous-jacent.

Ces concurrents se taillent une part de marché non négligeable : début 2021, Tether représentait 75% des stablecoins sur le marché. En un an, cette part est descendue à 48%. On ne peut d’ailleurs que s’en réjouir : la véracité des déclarations de Tether sur ses réserves représente une épée de Damoclès sur l’ensemble du marché des crypto-actifs. Et moins celui-ci en dépendra, plus sa sécurité sur le long terme sera assurée.

Stablecoins et souveraineté monétaire

Un autre danger menace aujourd’hui le marché des stablecoins: la régulation. Jusqu’en 2019, les Etats ne voyaient aucun problème à l’existence de ces actifs, qui se distinguaient peu des crypto-actifs traditionnels comme Bitcoin. Mais l'annonce de Facebook sur le projet Libra a tout changé : plusieurs gouvernements, à commencer par les Etats Unis, ont véritablement considéré ce projet comme une menace pour leur souveraineté monétaire, en particulier parce que le sous-jacent de Libra était un panier de devises dont la composition pouvait varier librement. 

Libra, depuis renommé Diem, n’est toujours pas en production deux ans plus tard. Ses nombreux partenaires initiaux ont quasiment tous quitté le navire. Malgré le fait que le sous-jacent monétaire soit désormais exclusivement le dollar américain, et que le projet se soit plié à toutes les exigences du régulateur américain, le projet semble à l’arrêt.

Les Etats et les banques centrales ont cependant retenu une leçon importante : il leur est impossible d’ignorer le concept de stablecoin, quitte à se l’approprier directement. On a donc vu apparaître des projets de stablecoins étatiques baptisés «monnaie numérique de banque centrale» (MNBC) chez à peu près toutes les banques centrales, à commencer par la BCE, qui prévoit une mise en service d’un tel actif aux alentours de 2026.

Des stablecoins au service des États?

Mais c’est la Chine qui est la plus en pointe sur le sujet, car le e-yuan est déjà une réalité dans le pays. Il est accepté dans des milliers de magasins et sites d’e-commerce, des salaires sont payés directement en e-yuan, des distributeurs permettent d’échanger des billets contre ce nouvel actif, etc. Plus récemment, l’Etat vient de lancer un portefeuille numérique sous la forme d’une application à télécharger sur smartphone. 

En parallèle, les législateurs n’hésitent pas à mettre une pression régulatoire forte sur les émetteurs de stablecoins historiques tels que Tether ou Circle, qui gère USDC. Ainsi, le congrès américain prévoit à court terme d’obliger ces émetteurs à obtenir des licences bancaires pour continuer à opérer. L’objectif avoué consiste à protéger les investisseurs de possibles disparitions inopinées de sous-jacents, et d’obliger ces acteurs à respecter les obligations des acteurs de la finance traditionnelle en matière de lutte contre le blanchiment et le terrorisme. 

Ce sont bien entendu des buts louables, mais on ne pourra s’empêcher de se demander si ce n’est pas une façon détournée d’étouffer la concurrence, notamment des futurs stablecoins gérés par les banques centrales.

Le marché des stablecoins s’est donc considérablement complexifié au cours des dernières années. Même s'il est aujourd’hui difficile de prévoir son évolution, on peut clairement constater que Tether, acteur quasiment unique jusque récemment, fait désormais face à une rude concurrence, face notamment à des acteurs étatiques qui entrent avec fracas dans cet écosystème.

A lire aussi...