La Fed n’est pas faite pour éradiquer les virus

Cyril Gomez

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L’option put des banques centrales ne fonctionne plus. James Bianco, CEO et fondateur de Bianco Research, suggère de fermer les marchés financiers.

La Réserve Fédérale américaine n’a donc pas attendu ses deux réunions des 17 et 18 mars pour abaisser ses taux et fournir de la liquidité additionnelle aux marchés. La deuxième baisse surprise dans le même mois. Dimanche soir, celle-ci a en effet décidé de ramener ses taux directeurs dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25% et de relancer un nouveau programme de rachats d’actifs.

Invoquant la crise du coronavirus, deux jours après la mise en place de l’état d’urgence aux États-Unis, la Fed accompagne en effet la réduction de son taux de référence d’un nouveau programme d’assouplissement quantitatif (QE) évalué à 500 milliards de dollars sous forme de bons du Trésor et à 200 milliards de dollars sous forme de titres hypothécaires. Actifs que l’institut d’émission s’engage à acquérir dans le but de stabiliser le marché monétaire et de la dette aux États-Unis mais également dans le monde, après avoir coordonné son action avec les banques centrales européenne, japonaise, britannique, canadienne et suisse.

«Lorsque nous écrivions, le 25 février, que du patient zéro à la politique de taux zéro il n’y avait qu’un petit pas à franchir sur fond de visibilité zéro, nous n’imaginions pas que nous serions ainsi justifiés à la vitesse de l’éclair», avait remarqué Stéphane Barbier de la Serre, Macro Stratégiste chez Makor Capital à Genève, dans son Trans-Market Express du mardi 10 mars. «En réalité, le développement du marché reflète comme un miroir la dynamique de la pandémie en cours, se transformant à une vitesse vertigineuse sur la ou les voies de la moindre résistance», poursuit le stratégiste.

Les banques centrales
ont déployé toutes leurs armes.

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’annonce de la Fed hier soir n’a pas immédiatement été suivie de signaux positifs sur les marchés. Vers trois heures ce matin heure suisse, le S&P 500 Mini (ES1:IND) chutait de 4,79% à 2555 dollars. «D’après mes estimations, les contrats à terme sur les actions seraient en baisse de 9 à 10% en ce moment en l’absence des règles de limite de variation maximale des cours des marchés à terme américains», explique James Bianco, fondateur et président du cabinet de conseil Bianco Research, à Chicago, quelques minutes après la décision de la Fed.

Au moment d’écrire ces lignes, les futures sur l’indice S&P/ASX 200 (XP1:IND) sont en baisse de 5,65%, d’après les données Bloomberg, alors que l’or reprend un peu plus de 1% à 1532 dollars l’once. «Ce qui nous ramène en arrière jusqu’aux plus bas de jeudi dernier», craint James Bianco. «Les banques centrales ont déployé toutes leurs armes avec l’objectif d’interrompre la chute des marchés, mais les futures américains ont atteint déjà leur limit down à l’heure où nous parlons», constate-t-il.

Selon James Bianco, il ne servirait même à rien pour la Fed d’acheter des obligations d’entreprise et des actions, dès lors que le Congrès ne serait pas suffisamment rapide pour approuver une telle mesure et que la mesure en soi «n’est pas recommandable et ne ferait qu’empirer les choses». Le conseiller financier estime qu’une seule alternative paraît viable, à savoir la fermeture des marchés pendant plusieurs semaines, voire des mois. «L’option put des banques centrales ne fonctionne plus. Si les marchés des actifs risqués atteignent de nouveaux plus bas, les régulateurs et les gouvernements n’auront peut-être pas d’autre choix que de fermer définitivement les marchés financiers afin de prévenir le chaos et des dommages durables», suggère James Bianco, avant de préciser que jamais jusqu’ici le S&P 500 n’a perdu 25% en à peine 16 jours.

De plus, les appels de marge forçant des liquidations en masse, l’incapacité à évaluer correctement les actifs moins liquides tels que le haut rendement et les titres des marchés émergents peut pousser les fonds à suspendre les rédemptions de leurs clients. «L’argent des investisseurs pourrait se retrouver bloqué, les clauses spéciales ou covenants rattachées aux obligations pourraient être déclenchées, forçant des restructurations ou des changements de contrôle et les fonds de pension pourraient en arriver à enfreindre la réglementation liée aux exigences minimales de financement», anticipe James Bianco. «Nous vivons l’un des moments de vérité les plus importants de l’histoire des marchés financiers.»

Les huit plus grandes banques américaines
cessent leurs rachats d’actions.

Jacques Lemoisson, Head of Global Macro & Alternative Investments chez CBH Compagnie Bancaire Helvétique à Genève, doutait déjà, deux jours avant la décision de la Fed, de la solidité du rebond observé vendredi, après que le président Donald Trump a déclaré l’état d’urgence. «Un marché fou qui rebondit sur le plan Coronavirus de Trump», commente le stratégiste. «La dernière fois que le marché a effectué un rallye de cette ampleur c’était le 28 octobre 2008, le jour où le Gouvernement annonça le Programme de Sauvetage des Actifs en Crise TARP. Le S&P 500 a néanmoins perdu 35% par la suite», rappelle Jacques Lemoisson.

L’expert avait néanmoins annoncé durant le week-end son projet de réduire sa position longue sur la volatilité, après que celle-ci se soit appréciée de 213%. Puis de revenir à un portefeuille équipondéré avant d’ajouter une nouvelle idée d’investissement. «Je peux toutefois changer d’avis dans les prochains jours, qui sait», a-t-il confié à Allnews quelques heures seulement avant la décision de la Fed, compte tenu du caractère erratique des flux de nouvelles.

Enfin, dimanche peu avant la soirée, le Financial Services Forum (FSF), composé des CEO des huit plus grandes institutions financières des États-Unis, a également annoncé, après discussion avec la Fed, que les banques membres ne procéderaient plus à aucun rachat d’actions durant les deux premiers trimestres de l’année en cours. «Les actions américaines perdent ainsi l’un de leurs principaux moteurs ayant permis à celles-ci d’enregistrer leurs récents records», estime Jacques Lemoisson.

Mais le FSF explique sa décision par sa volonté d’utiliser la masse de capitaux et de liquidité à sa disposition «pour fournir le maximum de soutien aux individus, aux petites entreprises et à l’économie dans son ensemble, à travers les prêts et autres services bancaires d’importance», lit-on dans le communiqué du FSF. «Cette décision est conforme aux actions de la Fed, de l’Administration et du Congrès.» Les membres du FSF sont Bank of America, Bank of New York Mellon, Citigroup, Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Morgan Stanley, State Street et Wells Fargo.