La Fed à un tournant

Axel Botte, Ostrum AM

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Réallocations et volatilité après le FOMC qui admet désormais que les risques d’inflation sont à la hausse.

©Keystone

«Ecoutez ce que je dis, mais regardez aussi ce que je fais» semble être le message de la Fed. Passé l’effet d’annonce du changement de cap monétaire, les rendements obligataires ont rechuté, alors que les actifs risqués digéraient les projections de taux plus agressives. Les deux tiers des membres du FOMC admettent désormais que les risques d’inflation sont à la hausse. 

Cependant, les facteurs techniques, qui maintenaient la pression sur les rendements obligataires depuis le milieu du mois de mars, ont été amplifiés par le relèvement des taux administrés. L’aplatissement de la courbe qui s’est ensuivi revalorise la croissance future des résultats, permettant ainsi au Nasdaq de marquer de nouveaux sommets. Le dollar en bénéficie, alors que les anticipations d’inflation baissent. Les spreads de crédit sont stables à l’exception des MBS.

Il existe une grande incertitude concernant le retour à l’emploi d’une partie
de la population ayant quitté les «actifs» depuis le début de la pandémie.

L’évolution des perspectives de taux retranscrites dans les «dots» a surpris les marchés financiers. Elles montrent des divergences d’opinions majeures parmi les banquiers centraux. Cinq membres du FOMC, probablement une partie du Board et les colombes, telles que Neel Kashkari, prévoient encore le statu quo sur les Fed funds à l’horizon de décembre 2023. A l’opposé, deux participants indiquent des Fed funds à 1,75% (borne haute), ce qui requerrait 50 pb de hausse dès 2022 et quatre mouvements de 25 pb en 2023. L’enveloppe des possibles s’est donc sensiblement élargie. 

Prise en compte nouvelle du risque d’inflation

Treize des dix-huit membres du FOMC considèrent désormais que les risques d’inflation sont à la hausse. En mars, la majorité ne retenait aucun biais haussier. Implicitement, si l’objectif d’emploi maximum reste prioritaire, la Fed ne pourra ignorer indéfiniment l’écart à l’objectif de stabilité des prix. 

En outre, il existe une incertitude considérable concernant le retour à l’emploi d’une partie de la population ayant quitté la population active depuis le début de la pandémie. Parmi ces 100 millions de personnes, 7 millions déclarent vouloir travailler (NB: sans chercher d’emploi, sinon elles seraient inclues dans la population active). En mai 2020, ce chiffre s’élevait à 9,4 millions. Autrement dit, 2,4 millions d’individus sont sortis définitivement du marché du travail. C’est une perte de PIB potentiel contre laquelle les politiques expansionnistes risquent de buter, accentuant ainsi les pressions sur les prix. 

La Fed a décidé d’emprunter 4 pb plus cher que les taux de repo du marché.

En parallèle, la Fed a opté pour des ajustements techniques, qui n’impliquent pas de resserrement monétaire. En relevant l’IOER et le taux de la facilité de reverse repo, la Fed veut s’éloigner des taux négatifs. Les rendements des T-bills induits par la rareté du collatéral depuis mi-mars sont remontés au-delà de zéro. En augmentant ces taux administrés de 5 pb, la Fed subventionne l’achat de collatéral (Treasuries) par ces contreparties et favorisent un meilleur fonctionnement des marchés monétaires (en évitant le risque de baisse de valeur liquidative des fonds monétaires). 

Par rapport à la situation précédente, la Fed a décidé d’emprunter 4 pb plus cher que les taux de repo du marché. Cet appel d’air a donné lieu à une hausse vertigineuse de l’accès à la facilité de reverse repo de 520 milliards de dollars avant le FOMC à 756 milliards de dollars jeudi dernier. Autrement dit, malgré le message, la Fed a favorisé l’achat (temporaire, mais reconduit tacitement) de 236 milliards de dollars en un jour.

Ces éléments techniques sont sans doute prédominants dans le très fort mouvement d’aplatissement de la courbe des taux américains. Le spread 5-30 ans (120 bp) s’est resserré de 20 pb en deux jours pour revenir à son niveau de décembre 2020. Le dix ans retrouve rapidement les niveaux pré-FOMC autour d’1,50%. Le deux ans remonte au-delà de 0,25% après les commentaires de James Bullard. 

L’absence de consensus sur les taux au sein de la Fed favorisera la volatilité

Les investisseurs cherchent logiquement à s’en prémunir en optant pour des stratégies plus convexes (protectrices à la hausse, comme à la baisse, des taux), comme l’aplatissement de la courbe des taux. La recherche de collatéral devrait entretenir cette dynamique, d’autant que la fin de la suspension du plafond de la dette (fin juillet) pèsera sur la capacité du Trésor à emprunter. En zone euro, le Bund suit logiquement le marché directeur américain. En retraitant de la prime de 5 pb de la nouvelle référence allemande, les taux restent en hausse de 3 pb. 

Le marché primaire du crédit IG reste très animé,
en particulier les segments des financières.

Les besoins de couverture des émissions de l’Union européenne motivent quelques flux vendeurs, par suite de la syndication de dix ans pour 20 milliards d’euros. La demande s’est élevée à 142 milliards d’euros. L’UE continue d’offrir des primes généreuses (mid swap – 2 pb) par rapport au spread du marché secondaire environ 5 pb plus bas. Dans ce contexte, les spreads souverains terminent la semaine sur une note négative à l’instar des swap spreads.

Le marché primaire du crédit IG reste très animé, en particulier les segments des financières (9 milliards d’euros cette semaine). Ces dettes tendent à se resserrer en secondaire, l’appétit se portant majoritairement sur les maturités longues, probablement en raison de la dynamique d’aplatissement des courbes et du niveau historique des rendements sur le 1-3 ans. Le high yield connaît une activité primaire sans précédents avec 16 à 18 transactions attendues jusque fin juin. Le positionnement du marché est acheteur autour de deux thématiques: relèvement des notations et réouverture.

Les marchés d’actions ont un temps résisté au FOMC, mais la séance des quatre sorcières de vendredi a pesé sur certains indices. La saison des résultats s’annonce favorable et les flux entrants soutiennent la classe d’actifs. Les bénéfices annuels s’afficheront à +50% par rapport à 2020. La rotation est défavorable aux matières premières et bénéficie au luxe, notamment. Le dollar se renforce contre toute devise à la suite du FOMC. L’euro plonge vers 1,19 dollars. Les devises (AUD, CAD, NZD) liées aux matières premières décrochent. Le réal fait exception avec le relèvement de 75 bp du selic.

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