La BCE et le retour à l'orthodoxie monétaire

Melvyn B. Krauss, Université de New York

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La Banque centrale européenne est-elle laxiste face à l'inflation et joue-t-elle le rôle de la colombe parmi ses homologues?

©Keystone

En décembre, les principales banques centrales ont annoncé qu'elles allaient mettre fin au relâchement monétaire. Mais il y a une exception, la BCE (Banque centrale européenne) qui n'envisage pas d'augmenter les taux d'intérêt en 2022, et ceci malgré le risque inflationniste.

Par contre la Fed (la Réserve fédérale américaine) prévoit de relever son taux directeur à trois reprises cette année, tandis que la Banque d'Angleterre a déjà augmenté son principal taux directeur de 15 points de base. Par ailleurs, pour rester fidèle à sa promesse de ne pas augmenter ses taux avant d'avoir redressé son bilan, la Fed va accélérer la réduction progressive de ses achats d'actifs.

Pour autant, la BCE est-elle laxiste face à l'inflation et joue-t-elle le rôle de la colombe parmi les principales banques centrales du monde? Le plus grand tabloïd allemand, Bild, a-t-il raison de se moquer de Christine Lagarde, la présidente de la BCE, en la surnommant «Madame Inflation»?

Non, trois fois non! Bild reflète l'opinion allemande traditionnelle selon laquelle la BCE doit se préoccuper quasi exclusivement de l'inflation, mais ce point de vue est totalement dépassé dans l'Europe de 2022.

Lagarde sait que l'arrêt des mesures de relance monétaire après une crise est une opération délicate. Faisant grimper le coût du crédit et étouffant la reprise des pays membres surendettés comme l'Italie, l'Espagne et la Grèce, une hausse trop rapide des taux d'intérêt pourrait entraîner l'éclatement de la zone euro. Les économistes parlent de «risque de fragmentation». Cette fragmentation est un problème chronique pour la zone euro, car contrairement à la Fed et à la Banque d'Angleterre qui sont toutes deux soutenues par une autorité budgétaire unique, la BCE fonctionne avec 19 autorités budgétaires indépendantes.

C'est peut-être ce à quoi pensait Lagarde lors de sa conférence de presse de décembre, quand elle a expliqué qu'il fallait avancer graduellement vers une politique monétaire plus resserrée pour éviter une «transition brutale». Il n'est pas surprenant que cette déclaration ait provoqué une réponse glaciale du président sortant de la Bundesbank, Jens Weidmann, un partisan résolu de l'orthodoxie budgétaire. Le nouveau ministre allemand des Finances, Christian Lindner, penche dans le même sens. Il estime que la sensibilité de la BCE au coût des prêts aux pays membres surendettés pourrait la conduire à une lenteur excessive pour mettre fin aux mesures de relance.

D'une certaine manière Lindner a raison. Lagarde n'est pas pressée de resserrer la politique monétaire, car elle tient à préserver l'intégrité de l'union monétaire lors de la réduction des mesures de relance. Comme un médecin consciencieux, elle ne veut pas précipiter le sevrage d'un toxicomane accroché à un produit fortement addictif. Il ne faut pas s'y tromper, les mesures de relance de la BCE ont eu un effet majeur sur l'économie - au point qu'elle en est devenue dépendante.

Toujours avisée sur le plan politique, Lagarde sait que l'opinion publique ne régirait pas favorablement à une politique monétaire qui menace de fracturer la zone euro alors qu'elle a créé un fonds de relance de 750 milliards d'euros pour maintenir sa cohésion. Un arrêt trop brutal de la politique de relâchement monétaire serait dangereux tant sur le plan économique que politique.

La plus grand risque de fragmentation vient aujourd'hui de l'Italie, avec ses 2’600 milliards d'euros de dette publique et une longue histoire d'instabilité politique. Cette situation appelle à la plus grande prudence. Jusqu'à présent les investisseurs semblent satisfaits du leadership de Mario Draghi, le Premier ministre italien. Mais ils craignent un retour de l'instabilité politique si ce dernier démissionne pour viser la présidence (essentiellement une fonction de représentation) après le départ imminent de Sergio Mattarella, le président actuel.

Les marchés financiers ont déjà tremblé à l'issue de la conférence de presse de fin d'année de Draghi en décembre, quand il a laissé entendre qu'il pourrait démissionner prochainement. Pourtant les investisseurs ne devraient pas s'inquiéter, car il est peu probable que Draghi devienne le prochain président italien. Sa petite phrase était sans doute une tactique pour faire face à deux des plus grands syndicats italiens, la Confédération générale du travail (CGIL) et l'Union italienne du travail (UIL) qui appellent à une grève générale qui devrait avoir lieu quelques jours avant le vote d'une loi budgétaire cruciale par le Parlement. Politicien malin, l'ancien président de la BCE sait que parfois il n'y a rien de mieux que menacer de démissionner pour parvenir à ses fins.

Le risque de fragmentation de la zone euro sera beaucoup plus facile à gérer pour Lagarde si son prédécesseur à la tête de la BCE reste à son poste jusqu'au terme de son mandat en 2023. A mon avis c'est ce qu'il va faire. Des pressions supplémentaires de Bruxelles et de Berlin en ce sens pourraient inciter Draghi à rester à son poste – et permettre à l'Europe de rester sur la trajectoire du redressement.

 

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Copyright: Project Syndicate, 2021.

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