La BCE et la malédiction du mois de juillet

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Si la banque centrale ne réagit pas, elle sera perçue comme ayant renoncé à son mandat de stabilité des prix.

La BCE se prépare à augmenter son taux directeur en juillet. Sans ce geste et d’autres à suivre, les prix et les salaires pourraient déraper durablement, affirment les «faucons» pour qui le choc d’inflation est un excellent prétexte pour sortir des politiques de taux bas et de QE qu’ils ont toujours rejetées comme nocives. Plus étonnant, les membres centristes du Conseil des Gouverneurs ont renoncé à leur apporter la contradiction. Les risques sont pourtant évidents: asphyxier le crédit à l’économie et attiser la fragmentation intra-zone. La BCE veut peut-être défendre la parité de l’euro mais c’est en sacrifiant les spreads périphériques.

Bonnes et mauvaises raisons de monter les taux

Tout suggère que la BCE augmentera son taux directeur à la réunion du 27 juillet. Certes, la décision ne sera pas prise/annoncée avant la réunion du 15 juin mais la «capitulation» récente de plusieurs gouverneurs modérés indique que le centre de gravité de la BCE s’est déplacé vers une position restrictive. Aucun officiel n’a rien trouvé à redire aux anticipations de resserrement du marché. Désormais, la hausse cumulée dépasse 75 points de base cette année, autrement dit trois hausses de 25 points de base sur les quatre réunions prévues au second semestre 2022. Les arguments officiels avancés en faveur d’une hausse des taux directeurs sont à première vue irrécusables; l’inflation dépasse de beaucoup la cible officielle et tend à déborder de l’énergie vers d’autres secteurs; si la banque centrale ne réagit pas, elle sera perçue comme ayant renoncé à son mandat de stabilité des prix et risquant du même coup d’attiser les anticipations d’inflation à moyen terme et les demandes de hausse de salaires, etc. Il faut tout de même tempérer ces craintes.

L’inflation sous-jacente en zone euro est deux fois plus faible qu’aux Etats-Unis.

La diffusion de l’inflation reste modeste en zone euro, où environ trois quarts du choc d’inflation est imputable directement ou indirectement à la crise de l’énergie. L’inflation sous-jacente est deux fois plus faible qu’aux Etats-Unis.

La bataille des idées

Avec son fameux discours sur le «quoi qu’il en coûte», Mario Draghi a profondément changé la manière dont la BCE devait conduire sa politique monétaire dans une zone imparfaitement intégrée. Il n’était plus possible de faire les choix monétaires uniquement en fonction de la situation moyenne de la zone sans tenir compte des disparités nationales. Par la même occasion, il est apparu que la stabilité des prix, qui est la boussole de la BCE, ne pouvait pas être déconnectée de la stabilité économique et de la stabilité financière. Il en a résulté des mesures atypiques, comme l’introduction des taux négatifs, les programmes d’achats d’actifs, les procédures de refinancement bancaire à long terme. On débattra encore longtemps de l’efficacité de telle ou telle de ces mesures mais le fait est qu’à la fin du mandat de Draghi en 2019, la zone euro avait surmonté le risque d’éclatement, avait évité la déflation et connaissait une reprise robuste. En somme, Draghi avait gagné la bataille des idées quand la zone euro risquait de tomber en déflation. A l’opposé, le choc d’inflation appelle un réexamen des mesures de crise et pour beaucoup leur abandon pur et simple. Pour eux, il faut revenir à la BCE des origines modelée sur la Bundesbank.

Derrière l’harmonie de façade que Christine Lagarde a tout fait pour restaurer depuis la fin 2019, il ne faut pas se cacher non plus qu’il y a des luttes d’influence au sein du Conseil de la BCE. Le mandat de Draghi a dû provoquer de la rancœur chez ceux qui avaient combattu en vain sa politique. Ils ont aujourd’hui l’occasion de prendre leur revanche. Les «faucons» ont dicté le durcissement du discours de la BCE ces derniers mois en ralliant à leur cause les gouverneurs réputés «centristes». L’envolée de l’inflation, quoique liée pour l’essentiel à une crise énergétique et non à un excès de crédit, a fourni un puissant argument.

Depuis le 24 février, date de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la zone euro subit un choc qui à la fois déprime les perspectives de l’activité et attise les pressions de prix. Se pose nécessairement la question de l’arbitrage entre ces deux problèmes. A l’heure actuelle, la composante «prix» du choc-Poutine l’emporte largement sur la composante «activité». Dans quelques mois, ce sera peut-être le contraire. De nombreuses enquêtes de climat des affaires signalent que les conditions courantes résistent bien, en partie grâce au rattrapage de la demande post-Omicron, mais que les conditions futures ont fortement chuté. C’est surtout le cas en Allemagne. Certains gouverneurs doivent se dire qu’un virage monétaire est possible maintenant mais qu’il sera plus difficile à faire s’il faut attendre que retombe la poussière de la guerre en Ukraine.

Les deux dernières phases de resserrement se sont mal terminées, c’est le moins qu’on puisse dire, même si on ne peut en imputer toute la faute à la BCE.
Mauvais présage

La doctrine officielle de la BCE est que l’euro n’est pas un objectif. Il est toutefois surveillé comme un des facteurs pouvant affecter l’inflation. La baisse de l’euro amplifie le renchérissement des importations de produits énergétiques, il ne l’explique pas loin s’en faut. Sur les six derniers mois, le cours du Brent a augmenté d’environ 30% en dollar et 40% en euros. Bien que l’effet-change ne joue qu’au second ordre dans le choc d’inflation importée, il y a un inconfort devant la dépréciation récente de l’euro face au dollar. Le gouverneur de la Banque de France l’a souligné récemment. En suivant le cycle monétaire de la Fed, fut-ce à vitesse réduite, la BCE peut vouloir apporter un soutien à l’euro et limiter de la sorte les pressions inflationnistes.

Quoi qu’il en soit de ses motivations, la BCE est prête à amorcer un virage monétaire. Si la réunion du 15 juin est destinée à acter la décision, la hausse des taux ne sera mise en œuvre qu’à la réunion suivante le 27 juillet pour se conformer à la séquence qui prévoit d’arrêter au préalable les achats d’actifs. L’événement est assez rare pour qu’on en évalue les risques. Après tout, les deux dernières phases de resserrement se sont mal terminées, c’est le moins qu’on puisse dire, même si on ne peut en imputer toute la faute à la BCE. Pour rappel, la dernière hausse de taux a eu lieu en juillet 2011, et dans le précédent cycle, en juillet 2008. On se gardera de toute interprétation astrologique mais le présage est un peu inquiétant: hausse des taux en juillet, récession à l’automne? Y a-t-il des points communs entre ces deux épisodes et la situation présente? A l’époque, l’inflation évoluait déjà au-dessus de sa cible (4,0% et 2,7% respectivement) mais sans commune mesure avec aujourd’hui (7,5%). L’économie était en croissance et même en légère accélération. Toutefois, avec le recul, les données en temps réel ont été un peu trompeuses. Il aurait mieux valu attacher plus de poids à la dégradation des indices de confiance des entreprises et des ménages et tenir compte de l’instabilité financière croissante.

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