La Banque Centrale piégée

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Dans le sillage de la crise de la Covid-19, les appels à l’annulation des dettes publiques reprennent de la vigueur.

Il n’a pas fallu bien longtemps à Christine Lagarde pour rejeter avec la plus grande fermeté les appels à l’annulation de tout ou partie des dettes publiques que la Banque Centrale Européenne détient désormais dans ses coffres. Les traités européens s’y opposent, mais que peuvent-ils contre la logique économique, lui rétorque-t-on. Mais s’agit-il vraiment d’économie politique ou de politique de l’économie?

C’est un fait, plus vite et plus fortement encore qu’au lendemain de la crise financière de 2008, les Banques Centrales de la planète nous ont «inondés de cash»1, cette fois-ci au secours bien compris des plans de soutien des Etats face à l’urgence. En s’aventurant toujours un peu plus loin sur la voie du financement quasi direct de l’économie, elles ne devraient pas s’étonner de voir monter ces appels à l’annulation des créances qu’elles détiennent sur les Etats.  Après tout, n’ont-elles pas d’elles-mêmes rompu le pacte d’indépendance? Et ne feraient-elles pas mieux, en le reconnaissant, d’accepter de financer ouvertement et pour le bien de tous, les programmes de relance et d’investissement que les Etats s’engagent à mener massivement, peut-être même sous leur contrôle bienveillant?

Si les Banques Centrales se sont rendues plus dépendantes des Etats,
ceux-ci ne sont pas pour autant affranchis de leurs propres contraintes.

La thèse est séduisante, pour le moins. Soulager momentanément les Etats du fardeau de l’impondérable – la crise pandémique – pour leur permettre de se consacrer à la refondation de l’économie vers l’éducation, la santé et l’urgence climatique, sont des motifs oh ! combien recevables. Et ce d’autant plus qu’à l’autre bout du spectre de la pensée, montent les thèses selon lesquelles les devises de réserve préserveraient nos Etats des affres de la disqualification monétaire et de la fuite des épargnants, trop heureux de financer la croissance et l’avenir de la planète, éloignés pour toujours de tout risque d’inflation. L’argent magique2 serait bien de ce nouveau monde, et l’Etat pourrait donc l’employer à de plus justes causes.

Ces nobles intentions se heurtent néanmoins à de dures et tenaces réalités. La dette aujourd’hui accumulée est soutenable et remboursable à un coût d’autant moindre que la Banque Centrale qui en détient une partie significative est garante de son remboursement. La confiance qu’elle y imprime n’est pas réductible à sa seule signature. Annuler ses créances, c’est prendre le risque – avéré en de nombreuses et douloureuses occasions qui jalonnent notre histoire – de se couper de tout autre source de financement. L’épargne – même abondante – aurait tôt fait de disparaître et se réfugier vers les actifs les plus stériles et les plus éloignés de toute forme d’investissement productif. Si les Banques Centrales se sont rendues plus dépendantes des Etats, ceux-ci ne sont pas pour autant affranchis de leurs propres contraintes et leur sont désormais redevables. Ils restent également face aux épargnants et aux investisseurs.

La soutenabilité de la dette dépend en grande partie de la capacité
des Etats à faire la preuve de l’efficacité de cette dépense.

La détention de la dette publique par tel ou tel créancier, qui serait plus ou moins accommodant, nous fait passer à côté du vrai débat, celui de l’opportunité et de l’efficacité de la dépense publique. Il est largement admis aujourd’hui, que la mission de l’Etat – transposée en partie au niveau de l’Union Européenne – s’étend au-delà du strict financement de ses missions régaliennes, auxquelles la collectivité des citoyens doit participer le plus équitablement et le plus largement possible. Cependant, les conditions de la mise en œuvre de la dépense publique dépendent avant tout de la qualité des institutions qui en ont la charge, comme des choix démocratiquement acceptés par les peuples et pilotés par leurs Parlements. La soutenabilité de la dette dépend en grande partie de la capacité des Etats à faire la preuve de l’efficacité de cette dépense. Elle implique non pas l’illusion de ressources illimitées propres à l’impéritie, sinon la corruption, mais bien le contrôle strict des dépenses, notamment de fonctionnement, et l’impulsion et la délégation aux acteurs privés de la mise en œuvre des réformes demandées. A l’heure où croissent les contraintes incompressibles liées au financement du vieillissement de la population, de la santé et de l’éducation, se priver d’autres soutiens et des mesures associées de contrôle et d’efficacité qui sont, n’en déplaisent à certains, souvent l’apanage de l’allocation privée des investissements, serait financièrement suicidaire.

La créance auprès de la Banque Centrale pas plus que l’épargne des ménages ne sont des «cagnottes» dont on peut disposer sans contrepartie. La confiance se mérite.

 

1 Voir notre article du 24 mars 2020 «Inondés de cash»
2 Voir notre article du 2 juin 2020 «La monnaie magique»

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