L’inversion de la courbe des taux: pour combien de temps?

Philippe Ferreira, Kepler Cheuvreux Solutions

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L’aplatissement que l’on observe depuis douze mois sur la courbe des taux swaps euro est bien annonciateur de mauvaises nouvelles.

La courbe des taux est depuis longtemps interprétée par les économistes comme un signal avancé de santé économique. De nombreuses publications académiques ont mis en avant le fait qu’un aplatissement suggère un ralentissement, l’inversion signale la récession et la pentification annonce la reprise avec plusieurs trimestres d’avance. Le marché transmet toutefois quelques signaux mais aussi beaucoup de bruit. Par exemple l’aplatissement de la courbe observé entre 2004 et 2006 avait beaucoup d’avance sur la crise de 2008 alors que la capacité des investisseurs à patienter est limitée! Aussi, la pentification de la courbe début 2008 était trompeuse mais le marché n'était pas seul dans l’erreur, la BCE aussi en remontant les taux à l’été 2008.

L’Europe résiste malgré l’ampleur des chocs subis

Pour autant, l’aplatissement que l’on observe depuis douze mois sur la courbe des taux swaps euro est bien annonciateur de mauvaises nouvelles. La guerre en Ukraine et la crise énergétique, l’inflation et le resserrement monétaire sont des obstacles à la confiance et à la croissance en zone euro. Les données publiées par les équipes ETF (fonds indiciels) de Kepler Cheuvreux signalent par exemple une décollecte marquée des actions européennes au cours des derniers mois.

A ce jour, l’Europe tient bon malgré l’ampleur des chocs subis. La croissance en zone euro au deuxième trimestre 2022 a dépassé les attentes, portée par le secteur des services et le retour des touristes dans les capitales européennes avec la réouverture des économies post-Covid. Les actions européennes surperforment les actions américaines depuis trois mois en rendement total. Certes, le résultat de nombreuses entreprises a été soutenu par la dépréciation de l’EURUSD. Selon nos estimations une baisse de 10% de la devise donne lieu à une surperformance des actions européennes (MSCI Europe vs. MSCI monde en monnaie locale) de 3%. La baisse de l’EURUSD de près de 12% depuis le début de l’année a été un facteur de soutien non négligeable.

La courbe des taux s’est toutefois inversée au cours du mois d’août, alors que les banquiers centraux ont redirigé les attentes de taux directeurs. Entre les taux swap en euros à 2 ans et à 30 ans, la pente est négative de l’ordre de 30 points de base actuellement. Pour effets de comparaison, la courbe des taux swap euros sur les mêmes maturités était inversée à l’été 2008 de près de 70 points de base.

Perspectives à moyen terme sur la courbe

Historiquement, on note un schéma régulier où l’inversion de la courbe des taux se révèle être très temporaire. La repentification survient rapidement, parfois même avant le début de la contraction de l’activité économique, et ce dès que le marché se met à anticiper l’assouplissement monétaire. Ce schéma est particulièrement évident si on regarde les courbes de taux souverains aux Etats-Unis, qui ont plus d’historique que les courbes swap et ne sont pas perturbées par les caractéristiques de la zone euro (plusieurs émetteurs souverains pour une même monnaie, réunification allemande qui limite la pertinence des données historiques pour la zone euro etc…). On retient des données historiques que l’inversion de la courbe 2 ans/10 ans a tendance à se produire avec quelques trimestres d’avance sur la récession, et que la repentification se produit avant même l’entrée en récession.

Appliqué à l’environnement actuel, cela suggère que l’inversion de la courbe des taux devrait rester en place pendant quelques trimestres. La tension sur l’offre de matières premières liée aux sanctions contre la Russie est un facteur qui va continuer de peser à l’approche de l’hiver. Cette dernière continue d’utiliser l’arme énergétique pour exercer une pression ferme sur les occidentaux. Les Etats-Unis étant quasi-indépendants sur le plan énergétique, tout le poids des mesures de rétorsion de la part de Moscou repose sur l’Europe. Les pays baltes connaissent une inflation qui dépasse 20%, et l’Allemagne se prépare à des rationnements énergétiques cet hiver. Sans énergie, l’industrie allemande tournera au ralenti. Le risque de stagflation au cours des prochains mois est donc significatif. Néanmoins, nous tablons sur un taux d’inflation qui commencera à converger vers la cible de la banque centrale au cours du premier semestre 2023, alors que les effets de base des prix de l’énergie vont se dissiper et que la consommation des ménages devrait être freinée par l’inflation et la remontée des taux. A ce stade, la BCE devrait retrouver des marges de manœuvre pour cesser de resserrer la politique monétaire.

L’environnement actuel est inédit pour la plupart des investisseurs qui n’ont pas connu le phénomène d’inflation de la fin des années 1970. Avec une certaine marge de sécurité compte tenu de cette source d’incertitude, il nous semble approprié de se positionner sur une repentification de la courbe des taux US et Europe au cours du premier semestre 2023. Les dérèglements économiques induits par les multiples chocs subis depuis plusieurs mois devraient être relativement normalisés à cet horizon de temps.

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