La concurrence autour des ressources naturelles sous-tend depuis bien longtemps les relations internationales. Elle semble néanmoins revenir aujourd’hui au premier plan, comme durant la course au partage de l’Afrique au XIXe siècle, ou à l’époque des convoitises occidentales sur le pétrole du Moyen-Orient au siècle dernier.
La demande ne cessant d’augmenter autour des minéraux critiques voués à alimenter les industries du futur, de nombreux pays se précipitent pour prendre l’avantage. Les États-Unis ont récemment conclu un accord très médiatisé sur les minerais avec l’Ukraine, laquelle souhaite éviter une nouvelle hémorragie du soutien américain à sa guerre contre la Russie. Le président américain Donald Trump évoque également l’idée d’acquérir le Groenland, pour ses richesses minérales potentielles, de même que son administration négocie des accords avec d’autres pays riches en minerais, tels que la République démocratique du Congo.
Les ressources naturelles sont par ailleurs de plus en plus utilisées comme une arme de politique étrangère. En 2022, après l’imposition de sanctions européennes contre la Russie pour son invasion de l’Ukraine, le Kremlin a réduit ses exportations de gaz vers le continent. Ces derniers mois, la Chine a restreint ses exportations de terres rares dans le cadre de sa guerre commerciale avec les États-Unis, tandis que l’Inde a suspendu le traité sur les eaux de l’Indus, un accord de partage de la ressource en eau avec le Pakistan, à la suite d’un attentat contre des touristes hindous au Cachemire. De même, le conflit entre Israël et l’Iran suscite l’inquiétude chez les alliés occidentaux d’Israël, qui craignent que l’Iran ne perturbe les livraisons de pétrole et de gaz en provenance du golfe Persique.
Si le contrôle des flux de pétrole et de gaz façonne depuis de nombreuses années la géopolitique, les minéraux critiques ont récemment pris une importance nouvelle, l’escalade des tensions géopolitiques accélérant les efforts de renforcement des capacités de défense, et faisant passer à la vitesse supérieure la course à l’intelligence artificielle, sur fond de poursuite de la transition énergétique à un rythme soutenu au niveau mondial. La construction de nouveaux missiles, centres de données et réseaux électriques nécessite d’immenses quantités de métaux et de minéraux, tels que le cuivre, le cobalt, le lithium et le nickel. Dans un monde de plus en plus divisé, au sein duquel la Chine domine le raffinage et le traitement d’une multitude de ces minéraux essentiels, de nombreux pays craignent à juste titre de ne plus y avoir accès.
Pour ce qui est de l’avenir, il apparaît évident que le changement climatique intensifiera les différends autour des ressources, en particulier de l’eau et de l’approvisionnement alimentaire. À titre d’illustration, si l’évolution des conditions météorologiques conduisait à une réduction des terres arables au sein des régions vulnérables, les pays impactés pourraient agir de manière affirmée pour protéger les voies d’exportations de céréales, ou pour conserver un accès aux réseaux fluviaux internationaux. Or, la solution ne saurait résider dans une approche musclée et implacable de la diplomatie des ressources naturelles. L’histoire nous enseigne en effet que la réussite dans ce domaine exige une stratégie réfléchie, patiente et modérée.
Pour commencer, la diplomatie des ressources naturelles nécessite une planification consciencieuse à long terme. La domination chinoise sur les minéraux critiques ne s’est pas imposée du jour au lendemain, mais résulte d’une prévoyance stratégique. Il y a plusieurs décennies, les dirigeants chinois ont adopté une politique industrielle tournée vers l’avenir, et ont commencé à investir dans des projets miniers à l’étranger, ainsi qu’à nouer des alliances avec des pays riches en ressources naturelles. Par opposition, n’ayant pris conscience que récemment des dangers de la dépendance à autrui en matière de minéraux critiques, de nombreux gouvernements occidentaux n’ont guère progressé dans la sécurisation de leurs propres chaînes d’approvisionnement relatives à ces matières premières, malgré leurs multiples initiatives à cet égard.
Les gouvernements européens ont également manqué de clairvoyance lorsqu’ils ont laissé s’installer leur dépendance au gaz russe durant les années qui ont précédé la guerre en Ukraine. Comme les Européens l’ont appris à leurs dépens en 2022, la précipitation dans la diversification des fournisseurs pendant ou après une crise peut se révéler extrêmement coûteuse et perturbatrice.
Les États auraient par ailleurs tout intérêt à se concentrer davantage sur la détermination minutieuse des détails rébarbatifs que sur la conclusion d’accords aux allures spectaculaires. La compréhension des aspects techniques et économiques de l’extraction ainsi que de la transformation des ressources naturelles sera décisive quant à la question de savoir si ces accords atteindront leurs objectifs à long terme.
À titre d’exemple, les dirigeants du secteur minier reprochent à l’accord américano-ukrainien sur les ressources naturelles d’exagérer la valeur des minéraux critiques et leur potentiel d’attraction d’investissements privés relatifs à leur exploitation. De même, il n’est pas impossible que les dirigeants américains surestiment la viabilité commerciale des minéraux présents sous la glace du Groenland. Dans ces deux cas, bien que les manœuvres de Trump attirent l’attention, il est possible qu’elles contribuent peu à la sécurité minérale des États-Unis.
Il est bien entendu nécessaire que les États n’exercent pas un contrôle excessif sur les ressources naturelles d’autrui, du moins pas sans veiller à ce que des bienfaits locaux significatifs existent, au risque de susciter mécontentement et réactions brutales. Dans les années 1960 et 1970, plusieurs sociétés pétrolières occidentales ont été chassées d’une grande partie du Moyen-Orient, les gouvernements locaux estimant percevoir trop peu en retour. Aujourd’hui, des sociétés minières occidentales sont prises en étau dans certaines régions d’Afrique et d’Amérique latine, en raison de perceptions locales comparables. Et bien que les sociétés minières chinoises aient gagné du terrain sur le continent africain en se présentant comme plus solidaires du développement local, elles sont parfois elles aussi taxées de néocolonialisme. S’assurer un approvisionnement en ressources naturelles sans semer la suspicion constitue un exercice plus difficile qu’il n’y paraît.
Enfin, les pays riches en ressources naturelles doivent comprendre que le fait d’user de leurs exportations comme d’une arme risque de se retourner contre eux, les importateurs étant en effet susceptibles de se détourner du produit en question, ou de prendre d’autres mesures de rétorsion. L’embargo pétrolier arabe de 1973 en constitue l’un des exemples historiques les plus frappants. Car si cet embargo a produit l’effet escompté à court terme – infliger des difficultés économiques aux États occidentaux – il a également incité ces pays à développer de nouveaux gisements de pétrole en dehors du monde arabe, par exemple en Alaska et en mer du Nord.
De la même manière, la décision de la Russie de couper le gaz à l’Europe a dans un premier temps porté un coup au Vieux Continent, mais a fini par dévaster un marché d’exportation autrefois lucratif, qui s’est désormais trouvé d’autres sources d’approvisionnement en énergie. D’autres pays risquent de commettre la même erreur. La suspension par l’Inde du traité sur les eaux de l’Indus fait craindre que la Chine, alliée du Pakistan, n’utilise comme une arme les cours d’eau qu’elle contrôle et qui s’écoulent vers l’Inde. De même, en resserrant ses exportations mondiales de terres rares, la Chine risque d’accélérer l’ouverture d’installations d’extraction et de traitement des terres rares ailleurs dans le monde.
Sur les questions de garantie d’accès aux ressources naturelles, ou d’utilisation de ces ressources comme des outils géopolitiques, les mesures les plus médiatisées produisent rarement les résultats escomptés, en particulier à long terme. Une diplomatie efficace en matière de ressources naturelles exige davantage subtilité, expertise, prévoyance et équilibre – autant de qualités malheureusement peu présentes chez les dirigeants politiques d’aujourd’hui.
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