A l’écoute des marchés obligataires

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Le focus est désormais sur les Etats-Unis. Même si le sujet des droits de douane va demeurer une source de volatilité, c’est la question de la soutenabilité budgétaire qui passe au premier plan.

«Quand le marché obligataire parle, le marché actions écoute». Cet adage boursier est particulièrement valable dans le contexte actuel. Les dernières phases de risk-off ont été déclenchées par des chocs de volatilité sur les taux d’intérêt, notamment en avril. Le retour des «bond vigilantes» s’est exprimé à plusieurs reprises: crise obligataire au Royaume-Uni lors du correctif budgétaire de Liz Truss le 23 septembre 2022, et plus récemment la plus forte hausse des taux d’intérêt du Bund allemand depuis la réunification à la suite des annonces de relance budgétaire de Friedrich Merz.

Le focus est désormais sur les Etats-Unis. Même si le sujet des droits de douane va demeurer une source de volatilité, c’est désormais la question de la soutenabilité budgétaire des Etats-Unis qui passe au premier plan. Le 16 mai 2025, Moody’s a abaissé la note de crédit souveraine des Etats-Unis de Aaa à Aa1, marquant la première fois où les trois grandes agences de notation – Moody’s, Fitch et S&P – classent le pays en dessous du statut le plus élevé. Cette décision a été motivée par la persistance de déficits budgétaires massifs et par une projection de la dette publique atteignant 134% du PIB d’ici 2035, contre 124% en 2025. L’agence Moody’s a également souligné l’impasse politique persistante à Washington, les deux partis étant incapables de s’entendre sur des réformes budgétaires à long terme. Du point de vue des investisseurs, cela implique une plus grande vulnérabilité des actifs américains à longue duration, un rôle réduit des bons du Trésor comme outil de diversification dans les portefeuilles, un risque accru de débasement monétaire, ainsi qu’une pression croissante pour réévaluer les exigences de capital liées à la détention d’obligations d’État, dans le cadre des futures réformes bancaires américaines.

Le narratif «higher for longer» pour les taux d’intérêt a été martelé par Jerome Powell. Pour le Président de la Fed, les conditions ont changé ces dernières années: remontée tendancielle de l’inflation, inflation plus volatile, et des chocs d’offre plus fréquents. Autant de facteurs qui vont compliquer la conduite de la politique monétaire. Il en résulte au moins quatre tendances: une pentification de la courbe des taux (bear steepening), une augmentation de la term premium, des taux réels plus élevés sur le 10 ans US, et un écartement du spread T-Note / Bund.

La deuxième thématique obligataire concerne le Japon. La remontée des taux longs (de zéro en 2021 à 1,50% aujourd’hui pour le 10 ans; de 0,6% à 3,2% pour le 30 ans) après trois décennies de baisse constitue un choc de valorisation à court terme (pertes latentes pour les investisseurs institutionnels japonais), mais aussi un choc de normalisation pour le Japon, qui vient symboliquement de perdre la première place de créditeur net au profit de l’Allemagne. La normalisation des taux longs va immanquablement se traduire par des rapatriements de capitaux et donc une réduction substantielle de l’exposition aux titres américains. C’est aussi le retour à une politique monétaire plus endogène, et un déplacement prévisible de l’épargne vers des actifs plus risqués, dont les Actions. L’anomalie de la valorisation des Actions japonaises (absolue et surtout relative) pourrait disparaitre. De manière plus systémique, cela indique un débouclage du «yen carry-trade», opérations à levier qui consistent à emprunter en yen à investir dans des actifs à haut rendement, dont le dollar. Le choc de marché qui a eu lieu début août 2024 avait eu comme catalyseur la hausse des taux directeurs de la Banque du Japon, entrainant un débouclage forcé d’opérations de portage en yen.

La troisième thématique concerne la Chine. Dans un contexte de remontée des taux d’intérêt à long terme sur le plan global, un pays se distingue: la Chine. Le taux à 10 ans est en repli depuis 2021, avec une accélération récemment vers le seuil de 1,50%, soit le niveau des taux japonais. La crainte est que la Chine soit en train de s'engager dans un processus de «japonisation» — une répétition de la longue période de faible croissance et de déflation qu’a connue le Japon, et dont ce dernier semble commencer à sortir.

L’encours mondial de dette s’élève à 324 trillions de dollars au premier trimestre 2025, soit 333% du PIB (dont 102 trillions de dette publique). Ce mur de dette va susciter beaucoup d’interrogations, mais il est déjà structurant, selon deux axes: le débasement monétaire et le besoin de trouver des alternatives diversifiantes au portefeuille type 60/40.

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