Janet et Jerome, ou l’entente cordiale

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Saluée par les marchés et au-delà, Janet Yellen n’a pas de réels adversaires. Elle ne devra pas moins faire face à une grande adversité.

Je ne le cacherai pas, je fais partie de ses fans! J’ai eu la chance de rencontrer et de côtoyer Janet Yellen, lorsqu’elle était à la tête de la Réserve Fédérale des Etats-Unis. Ce qui fait sa renommée, je pense, c’est qu’au-delà du parcours, il y a le style et qu’au-delà du style, il y a les convictions. Brillante économiste et universitaire, Janet Yellen peut s’enorgueillir de nombreuses premières: Présidente du Council of Economic Advisors du Président Clinton, elle a présidé la Réserve Fédérale de San Francisco, Vice-Présidente puis Présidente de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, elle pratique la politique monétaire depuis longtemps et en connait les moindres rouages. Atteindre ces sommets est d’autant plus méritoire qu’ils ne lui étaient certainement pas acquis. Son style n’est pas moins convaincant. Douée d’une grande concentration et d’une formidable écoute, elle argumente patiemment et pratique une collégialité qui ne fut pas toujours le fait de certains de ces prédécesseurs à la Fed ou au Trésor. Ce sont également ses convictions qui la définissent, et de ce côté-là non plus, elle n’en manque pas. Spécialiste des questions d’emploi, elle n’a jamais perdu de vue ces sujets, même à des périodes où l’on pouvait considérer que le chômage avait déjà atteint son seuil le plus bas. Démocrate convaincue, mais surtout et avant tout au service de la politique monétaire de son pays, elle s’est trouvée en butte aux attaques d’un Président Trump bien décidé à se débarrasser d’elle. Elle quitta bien son poste en 2018, mais selon les termes qu’elle s’était fixés.

Considérée comme trop modérée par l’aile gauche du Parti Démocrate,
certains la jugeront encore bien trop «radicale» et néo-keynésienne.

Aujourd’hui on pourrait s’inquiéter d’une «cohabitation» avec Jay Powell, l’avocat de Wall Street, considéré par beaucoup comme le «poulain» de Donald Trump, lorsqu’il succéda à Janet Yellen à la tête de la Fed. Il n’en sera probablement rien. Outre qu’ils ont déjà travaillé ensemble – Jay Powell avait rejoint la Réserve Fédérale sous la présidence Obama -  les deux «patrons» partagent la même conviction quant à l’indépendance de la Banque Centrale, et la nécessité de faire face aux évènements avec pragmatisme. Je relèverai ainsi que si Janet Yellen est considérée comme une «colombe» par la communauté financière, elle a en fait participé et présidé deux cycles de resserrement monétaire: de 2004 à 2007 et de 2015 à 2018 – ce qui lui a valu d’ailleurs les foudres de Donald Trump et de nombreux Républicains.

De son côté, Jerome Powell, qui a lancé en 2019 une grande enquête nationale intitulée «Fed listens», a étonné bien des analystes lors de son intervention de Jackson Hole en août dernier1 en élevant l’emploi – devant l’inflation – au rang de priorité de la politique monétaire de la Réserve Fédérale. Ainsi les marchés s’attendent-ils qu’après les tensions récentes avec le Secrétaire sortant Mnuchin, les relations soient plus que cordiales avec Janet Yellen.

Il reste que les défis qui attendent cette dernière sont immenses. Considérée comme trop modérée par l’aile gauche du Parti Démocrate, certains la jugeront encore bien trop «radicale» et néo-keynésienne. A ce stade, les marchés s’attendent à ce que le Sénat, quelle que soit sa couleur, confirme sa nomination en début d’année. Et même si au bout du compte, cela s’avère une formalité, il lui faudra négocier et sceller un deuxième budget de soutien avec les deux Chambres, compromis introuvable jusqu’ici et propre à éviter une rechute de l’économie américaine en début d’année. L’ancienne Banquière Centrale, saura-t-elle endosser l’habit du Politique? Certains s’en inquiètent, ajoutant à leurs arguments, et assez perfidement, l’âge de la titulaire du poste.

Janet Yellen hérite donc d’une situation économique et politique pour le moins difficile. Le pays a été gravement touché par la pandémie et souffre de sa gestion par l’Administration sortante. Les disparités au sein de la population se sont creusées du fait de la hausse du chômage, tandis que les moyens budgétaires et financiers sont réduits au regard du poids de la dette accumulée. Les relations commerciales de l’Amérique sont tendues avec la Chine, qui semble avoir pris le dessus ces derniers mois.

Même en comptant sur sa bonne entente avec Jay Powell, Janet Yellen, même sans adversaires, ne pourra compter que sur elle-même pour affronter cette adversité.

 

1 Voir l’article «La Réserve Fédérale à hue et dia», 31 août 2020.

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