Hong Kong, les masques tombent

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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L’entrée en vigueur de la loi de sécurité nationale à Hong Kong cristallise les ambitions de la Chine. Une nouvelle étape dans une nouvelle guerre froide.

Le Printemps de Hong Kong résonnera-t-il comme le Printemps de Prague en son temps? Les chars n’ont pas fait irruption dans la cité, la Bourse ne semble pas avoir été affectée. Pourtant, la main de Pékin vient de s’abattre, et les implications de la mise en œuvre de la loi de sécurité nationale vont durement, bien que progressivement, se faire sentir sur le territoire et au-delà.

Le projet était muri de longue date, les circonstances ont fourni l’occasion d’agir. Les élections à Taïwan ont reporté tout espoir de rattachement rapide des deux entités. Européens et Américains sont entièrement préoccupés par la propagation de la pandémie et les conséquences économiques du confinement. La promulgation de la loi a bien suscité des protestations générales et même de nouvelles sanctions. Mais celles-ci risquent de coûter plus cher à Hong Kong qu’à la Chine, en isolant le territoire du reste du monde, pour le laisser un peu plus à la merci politique et économique du continent. Sans compter que l’Amérique isolationniste de Donald Trump n’est plus vraiment capable de mobiliser un front uni1.  

La bourse de Tokyo rêve de sortir de sa léthargie
pour redevenir le hub de la région.

La loi de sécurité met fin de facto à l’état de droit dans le territoire.  Son énoncé comme son champ d’application constituent une menace majeure sur les personnes et les activités. Les atteintes susceptibles de sanctions sont formulées de façon assez vague pour être appliquées arbitrairement. De plus la loi s’étendra à toutes les personnes, physiques et morales, présentes sur le territoire, qui pourraient ainsi se trouver sanctionnées, extradées et jugées en Chine même. Pékin vient donc de s’arroger un pouvoir d’extraterritorialité sur l’ensemble des activités et des individus présents à Hong Kong à quelque titre que ce soit. Prises entre le marteau des restrictions d’approvisionnements et l’enclume des risques de sanctions arbitraires – voire de disparitions -  les entreprises étrangères risquent vite de se décourager. Face à la censure, les principaux réseaux sociaux américains ont choisi de se retirer. Cela les honore. Ce faisant ils laissent le champ libre à l’internet d’Etat. Car la Chine d’aujourd’hui n’est pas l’Union Soviétique d’hier. Est-il besoin de rappeler son poids économique et l’ampleur des interdépendances qui nous lient à elle.

Débouché économique et financier du continent-atelier, Hong Kong n’est plus aussi importante, ne pesant désormais que près de 3% du PIB de la Chine contre plus de 16% en 1997. En perpétuelle reconversion, le territoire dynamique ne serait-il d’ailleurs pas devenu au fil du temps un concurrent gênant face au développement dirigé de grandes villes comme Shenzhen et Shanghai? Du côté occidental, on donne l’impression d’être prêt à se «partager les dépouilles», et tenter d’attirer à soi capitaux et cerveaux en mal de sécurité.  Boris Johnson a offert l’asile économico-politique et la nationalité britannique aux Hongkongais nés avant 1997.  La bourse de Tokyo rêve de sortir de sa léthargie pour redevenir le hub de la région. Ainsi la charnière de Hong Kong vient de céder à la bipolarisation accrue du monde.

Dans cette passe, la Chine semble avoir toutes les bonnes cartes en main et prendre un risque économique minime. Les Etats-Unis et l’Europe ne peuvent que constater l’échec de leur ambition de démocratisation de l’Empire du Milieu, qui aurait dû suivre l’ouverture économique du pays.  Pour les démocraties le réveil est amer. Ce n’en est pas moins un réveil.

En tombant le masque, alors qu’elle est sous le feu de critiques croissantes pour sa gestion de la pandémie comme pour l’oppression des communautés Ouïghours, la Chine se risque à entrer en confrontation directe avec les Etats et les organisations démocratiques et multilatérales qu’elle juge affaiblies et contrôlables. Même si c’est au prix de quelques sacrifices commerciaux, pour elle le jeu en vaut sûrement la chandelle.

N’est-ce pas l’erreur que d’autres dictatures ont commis avant elle?

 

1 Voir notre précédent éditorial «Le dictateur et la pantin» 20 avril 2020.

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