Europe: une récession inéluctable

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La BCE va tout faire, trop peut-être, pour montrer qu’elle est inflexible face à l’inflation.

L’embargo russe sur le gaz et le resserrement de la politique monétaire de la BCE rendent inévitable une récession cet hiver. Le pic d’inflation européenne est encore à venir, un peu au-dessus de 10. Le policy mix est contradictoire, avec une BCE qui durcit à outrance et des Etats qui multiplient les plans d’aide aux ménages.

Quel est le point commun entre Vladimir Poutine et la BCE? Tous les deux sont en train de pousser avec détermination l’économie européenne vers la récession. Pas pour les mêmes raisons, il va sans dire.

Pour Vladimir Poutine il s’agit d’infliger le plus de dégâts possibles à un adversaire qui impose de lourdes sanctions à son économie. En coupant ses livraisons de gaz à l’Europe, il fait flamber les prix de l’énergie, ce qui a de quoi provoquer une crise sociale dans nos pays, fragiliser les gouvernements en place et ainsi, espère-t-il, les forcer à lever les sanctions ou à réduire leur soutien à l’Ukraine. C’est du chantage pur et simple.

La BCE évoque ouvertement l’idée d’un «sacrifice» entre croissance et inflation.

Pour la BCE, affaiblir l’économie européenne n’est pas une fin en soi, mais c’est un moyen de calmer les tensions inflationnistes. En ce sens, une récession est considérée comme un mal nécessaire.

La BCE évoque ouvertement l’idée d’un «sacrifice» entre croissance et inflation. Elle durcit sa politique monétaire à un rythme inédit dans son histoire avec une hausse des taux de 50 points de base en juillet, puis de 75 pdb en septembre. Elle a prévenu qu’elle continuerait de monter ses taux à un rythme soutenu lors des trois ou quatre prochaines réunions.

Au bout du compte, les tenailles se sont encore resserrées sur l’économie européenne durant l’été.

Implications pour les perspectives d’inflation, de croissance et de politique économique

Concernant l’inflation, les risques pointent toujours vers le haut. S’il y a quelques signes de modération de l’inflation aux Etats-Unis ou en Chine, ce n’est pas le cas de la zone euro. En août, la hausse des prix a inscrit un nouveau record à 9,1% sur un an. Il y a tout lieu de penser que ce n’est pas encore le pic. On s’attend à une inflation à deux chiffres d’ici le début de 2023.

Tout d’abord, les prix de gros du gaz et de l’électricité ont explosé, entre 10 et 20 fois au-dessus du niveau normal. Même si les prix de détail sont régulés et beaucoup moins réactifs, leur tendance reste haussière, d’autant que les mesures de protection des consommateurs sont amenées à s’amenuiser dans les prochains mois. Ensuite, il y a des signes d’accélération des autres prix, comme l’alimentation et certains services. La faiblesse de l’euro contribue à renchérir les importations payées en dollar.

En contrepoint, il faut noter que la chaîne logistique globale est moins sollicitée. La demande de biens manufacturés qui avait bondi lors des confinements s’atténue maintenant que la mobilité est redevenue presque normale (à l’exception de la Chine). Il y a moins de trafic dans les échanges internationaux, donc moins de congestion, et certains prix ont nettement baissé (fret, matières premières industrielles, pétrole). Mais à la hausse comme à la baisse, la répercussion des prix de production sur les prix à la consommation prend du temps.

Par rapport à 2019, le solde commercial en produits énergétiques s’est dégradé de l’ordre de 4 points de PIB.

Concernant la croissance, les risques pointent vers le bas. Dès l’invasion de l’Ukraine en février dernier, les indicateurs de climat des affaires ont fléchi, mais leur recul s’est amplifié durant l’été. Dans de nombreux pays de la zone euro, ils ont désormais franchi le seuil d’entrée en récession. Par rapport à 2019, le solde commercial en produits énergétiques s’est dégradé de l’ordre de 4 points de PIB. Il n’y a pas de précédent à un tel choc sur les revenus réels sans une contraction de l’activité et de la demande.

Pour certaines entreprises, il est préférable en effet de réduire l’utilisation des capacités plutôt que de produire à perte. C’est le cas des activités les plus énergivores telles que la chimie, la métallurgie, la production de papier ou de verre. En Allemagne, ces branches représentent 20% de la valeur ajoutée et 80% de la consommation d’énergie du secteur industriel. La disparition du gaz russe bouleverse leurs conditions d’activité. Le risque de pénurie et de blackout sera maximal durant l’hiver prochain.

Les autres sources de faiblesse sont nombreuses: les consommateurs subissant une lourde perte de pouvoir d’achat, un secteur immobilier affaibli par la remontée rapide des taux, des banques rendues prudentes dans leur distribution du crédit. En fait, le seul domaine où l’économie européenne montre encore de la vigueur, c’est le marché du travail.

Après six mois de repli continu du moral des entreprises, on n’observe pas de retournement des intentions d’embauche.

Concernant la politique économique, un problème inédit se pose. Choc d’inflation et risque de récession appellent des réactions diamétralement opposées: restriction d’un côté, assouplissement de l’autre. C’est là une différence majeure avec la crise pandémique. A l’époque, les politiques budgétaires et monétaires avaient été assouplies de concert car il n’y avait pas de risque inflationniste.

Rien de tel face à la crise énergétique. La BCE va tout faire, trop peut-être, pour montrer qu’elle est inflexible dans son mandat anti-inflationniste. De leur côté, les gouvernements, en ordre dispersé, s’efforcent de limiter le choc. Cumulés, ces plans d’urgence avoisinent 2,5 points de PIB à ce jour. Ce partage des tâches est précaire et n’augure pas d’un rebond rapide une fois l’hiver passé.

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