Eclairage sur le marché US – Cibler les bénéfices prévisibles

Cormac Weldon, Artemis

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Pharma et biotech peuvent être soumis à des contrôles de prix renforcés. Mais les assureurs du secteur de la santé vont assumer un rôle croissant.

        

Sur les marchés financiers tout est une question de contexte. Deux des facteurs à l’origine de la hausse récente de la volatilité et de la baisse importante des indices auraient pu, en d’autres occasions, être interprétés de manière positive: augmentation de la croissance économique et diminution du taux de chômage. 

La politique des républicains visant à réduire l’impôt sur les sociétés et le fardeau administratif lié à la réglementation a contribué à ces deux développements. Ceci contraste avec la dernière période d’important affaiblissement observé début 2016 sur les marchés: la croissance de l’économie mondiale marquait le pas et une récession due à l’apathie ou au manque «d’animal spirits» paraissait probable. Au moins d’un point de vue américain, ce risque semble lointain en raison des politiques de l’Administration Trump. 

Inquiétudes liées à la fin du cycle économique

Aujourd’hui le souci n’est pas le manque d’«animal spirits». Le débat s’oriente plutôt vers la problématique classique «de fin de cycle». Est-ce que nous approchons d’une période d’inflation accélérée? Et est-il possible que la FED soit sur le point de déclencher la prochaine récession en resserrant de façon très agressive sa politique monétaire?

Les tensions commerciales
entre les Etats-Unis et la Chine ne sont pas réglées.

A ces inquiétudes s’ajoute la grave remise en cause, par le président Trump, du consensus sur la politique économique, consensus établi de longue date et en faveur de la globalisation. 

Même si la Chine et les Etats-Unis se sont mis d’accord au sommet du G20 sur une trêve au cours de laquelle ils n’appliqueront pas de tarifs douaniers à 25% nous ne pensons pas que cette décision règle les tensions commerciales entre les deux pays. Les problèmes les plus difficiles à régler concernent le transfert de technologie forcé si les sociétés américaines (ou étrangères) veulent s’établir en Chine, et la violation totale de la propriété intellectuelle. De plus, l’annonce selon laquelle le représentant le plus adepte du protectionnisme économique de l’administration Trump, Robert Lighthizer, sera chargé des négociations avec la Chine au cours des trois prochains mois, laisse à penser que les marchés devront se concentrer à nouveau sur ce point au cours du premier trimestre 2019. Ce faisant, nous croyons que les entreprises américaines continueront à chercher des fournisseurs de substitution pour les composantes qu’ils achètent actuellement en Chine.

Inflation des prix à la consommation;
remplacer la main-d’œuvre par du capital.

Une chose est sûre : la baisse du chômage fait grimper les salaires. C’est dans l’ensemble un point positif: un coup de pouce aux salaires de la main d’oeuvre moins qualifiée réduit de manière importante les inégalités de salaires. Mais bien sûr, le souci c’est que l’inflation par les salaires débouche sur une inflation des prix à la consommation (calculée sur la base des dépenses de consommation personnelle ou DCP).

L’inflation reste modérée
Source: Bloomberg au 30 septembre 2018

 

C’est la raison pour laquelle la Fed relève ses taux d’intérêt lorsqu’il y a inflation par les salaires, comme c’est le cas actuellement. Pour ce cycle cependant, il ne fait pas de doute que l’inflation des prix à la consommation a mis du temps à se matérialiser. Ce n’est peut-être pas surprenant étant donné que les technologies disruptives ont touché tant de secteurs. L’internet a fourni un outil puissant aux consommateurs: la transparence des prix. Nous pensons que les augmentations de prix ont été plus difficiles à imposer, contrairement à ce qui se passait auparavant.

La politique de la Fed a déjà un impact sur certaines industries.

D’un point de vue macro-économique certaines sociétés et industries ont la capacité de remplacer le travail par du capital physique et des technologies. Les clients de McDonald ne font plus la queue pour payer le caissier. Au lieu de cela, ils commandent un Big Mac à une borne kiosque tactile. De la même façon, alors qu’Amazon et d’autres e-commerces gagnent des parts de marché ils remplacent les boutiques et grands magasins, grands consommateurs de main-d’oeuvre, par des entrepôts à forte intensité de capital et par une flotte de véhicules de livraison.

On pourrait aussi soutenir que la politique de la Fed a déjà un impact sur certaines industries. La construction immobilière en constitue un exemple évident. En raison de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, construire une maison prend plus de temps (et donc par définition coûte davantage) qu’il y a un an, trois ou cinq ans. Par conséquent, le prix des nouvelles maisons augmente tout comme les taux hypothécaires, ce qui réduit la demande (et probablement, la demande de main-d’œuvre). 

Tous les yeux sont rivés sur la Fed

Alors que l’économie actuelle croît à un bon rythme nous savons que le stimulus fiscal va baisser à compter du milieu de l’année prochaine, par rapport à la période précédente. Cela surviendra au moment même où le resserrement de la Fed aura un impact. 

A présent, nous ne tablons pas sur une récession pour l’an prochain, ou l’année suivante. Nous n’avons pas observé de signes d’inflation des prix à la consommation susceptibles de pousser la Fed à relever ses taux de façon si agressive que cela provoquerait une récession. A part un taux de chômage très bas, nous avons bien du mal à identifier des signes de surchauffe de l’économie américaine. Nous n’avons pas vu de boom des investissements ou de la consommation. Les consommateurs ont assaini leurs finances personnelles depuis la crise financière et la dette qu’ils ont contractée (crédit immobilier) est souvent à taux fixe, pas variable.

Il y a peu de marge de manœuvre pour une hausse significative
des taux d’intérêt à court et long terme.

Le montant de la dette corporate et souveraine est par contre excessif au niveau mondial. Nous pensons qu’il y a peu de marge de manœuvre pour une hausse significative des taux d’intérêt à court et long terme car le coût du service de la dette sera sensible aux taux d’intérêt (certaines obligations n’ont pas de coupon fixe).

N’oublions pas non plus qu’un relèvement des taux d’intérêt aux Etats-Unis a tendance à avoir un impact disproportionné sur les économies en dehors des USA, notamment sur celles des pays émergents. Si nous regardons au-delà des Etats-Unis et observons les autres économies mondiales, nous ne voyons pas de nouveau moteur de croissance – juste d’éventuelles déceptions supplémentaires.

En quête de revenus stables… 

La hausse des taux d’intérêt - et le débat sur les prochains relèvements de taux - ont eu un impact sur les marchés financiers de deux façons. Primo, les sociétés qui sont tributaires de la croissance économique (telles que les banques) ont subi des chutes massives de leurs cours car le marché prend en compte une économie au ralenti voire en récession. Secundo, les titres dits de croissance et dont les multiples de valorisation ont été revus régulièrement à la hausse ces cinq dernières années pâtissent désormais d’une contraction de leur valorisation. Comme une grande partie des cash flows des sociétés de croissance n’est générée que dans un avenir lointain, les cours de ces entreprises sont plus sensibles aux changements du taux d’escompte long terme (la hausse du prix de l’argent le rend plus onéreux).

A ce stade, nous sommes contents d’avoir un portefeuille de sociétés qui affichent une forte stabilité de leurs bénéfices. Notre positionnement vis-à-vis du secteur de la santé reflète notre appétit pour les bénéfices prévisibles. Nous sous-pondérons donc fortement les titres pharmaceutiques et de la biotechnologie, car ils peuvent être soumis à des contrôles de prix renforcés. Parallèlement, nous surpondérons les assureurs du secteur de la santé tels que Anthem, UnitedHealth et Humana, dont nous pensons qu’ils vont assumer un rôle croissant dans la lutte contre l’inflation des coûts de santé.

Surpondérer les utilities et les Reits.
L’endettement a tendance à être élevé mais la demande est très stable.

Nous apprécions également les avantages d’une bilan flexible (endettement plus faible, de manière générale) tout en reconnaissant que, pour une société dont les bénéfices sont grandement prévisibles, un peu d’endettement peut être bénéfique aux détenteurs d’actions. Nous surpondérons les utilities et les Reits, deux secteurs dont l’endettement a tendance à être élevé mais dont la demande est par ailleurs très stable.

Dans le secteur technologique, nous souhaitons mettre en exergue Microsoft dont les bénéfices sont grandement prévisibles. Ces derniers proviennent de l’activité software auquel s’ajoute le potentiel de croissance sur le long terme de sa branche informatique en nuage.

… et de croissance 

Nous sommes aussi quelque peu investis dans les sociétés à croissance rapide. En supposant que nous ayons raison sur l’inflation et sur la cadence modérée des hausses des taux d’intérêt nous croyons que le marché finira par s’intéresser à nouveau à ces sociétés. A titre d’exemple, nous pensons que les acteurs du système mondial des paiements, à savoir Visa, PayPal et WorldPay, continueront de tirer parti de la préférence des consommateurs pour les cartes en plastique au détriment du liquide.

Dans la santé et les technologies, nous détenons quelques plus petites capitalisations dont nous pensons qu’elles peuvent gagner une part de marché significative. AxoGen par exemple; ses produits visent à réparer les tissus nerveux périphériques. Mais aussi Nutanix (qui propose un software d’informatique en nuage «hyperconvergé». 

Nous possédons aussi un nombre de titres dont les facteurs de croissance sont spécifiques, tels que Planet Fitness qui gère des clubs de sport à coûts réduits.

Où nous trouvons de la valeur

Même si nous prisons la stabilité des bénéfices et sommes investis dans des titres de croissance, nous ne sommes pas entièrement réfractaires aux sociétés ‘value’. Nous avons récemment augmenté notre allocation dans l’assurance (nous détenons Progressive, qui se traite avec une décote par rapport à ses concurrents) et dans l’aviation (Delta Airlines). Mais nous sommes prudents vis-à-vis des sociétés qui dépendent du commerce mondial et qui seront touchées à la fois par les tarifs douaniers et un ralentissement de la croissance économique globale.

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