Donner du crédit à la croissance

Fabrizio Quirighetti, Hartwig Kos, Adrien Pichoud, SYZ Asset Management

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Le contexte géopolitique incertain, dominé par les discours de guerre commerciale, a retenu l’attention des investisseurs au cours des quelques derniers mois.

Le contexte géopolitique incertain, dominé par les discours de guerre commerciale, a retenu l’attention des investisseurs au cours des quelques derniers mois. En même temps, les indicateurs de croissance économique en Europe et au Japon ont déçu les attentes, qui étaient excessives après une année exceptionnellement bonne en 2017. De plus, la courbe des taux américaine a continué de s’aplatir et pourrait s’inverser durant les six à douze prochains mois; dans le passé, cela augurait d’une récession au cours du semestre ou de l’année à venir. L’expansion de la première économie mondiale n’en est plus à ses balbutiements; la majeure partie de sa reprise et de son expansion se trouve maintenant derrière nous et, par conséquent, une récession ou tout au moins une modération ou une stagnation de la croissance devrait se produire à l’avenir. Mais il est encore trop tôt pour en être certain et pour prendre des décisions d’investissement en conséquence. En outre, quelques timides signes de stabilisation de la croissance dans le reste des pays développés sont rassurants. Le tableau est plus mitigé sur les marchés émergents, mais nous nous attendons également à une amélioration à l’avenir, car le dollar devrait se stabiliser et le durcissement de la Fed a été pris en compte dans l’avenir prévisible.

Le ralentissement de la Chine reste sous contrôle, car son gouvernement
renoue avec une politique budgétaire et monétaire plus accommodante.

Sur une note plus optimiste, la croissance globale reste honorable, l’inflation se comporte bien et, à l’exception de la Fed, les politiques monétaires des grandes banques centrales restent clairement favorables. Le ralentissement de la Chine reste sous contrôle, car son gouvernement renoue avec une politique budgétaire et monétaire plus accommodante et une dévaluation du yuan. La saison des résultats trimestriels des entreprises américaines s’ouvre en beauté: les banques ont annoncé un rachat massif d’actions et les valorisations des actions américaines, très chères au début de l’année, semblent proches de leur juste valeur. Le crédit, notamment les obligations à haut rendement et de qualité investment grade européennes, est aussi devenu moins cher au cours des quelques derniers mois.

Dans un contexte où l’inflation ne pose pas encore problème, où les conditions financières restent accommodantes et où la croissance ne fléchit pas, nous maintenons une position favorable sur le risque et une légère sous-pondération sur la duration; la tendance des taux reste orientée à la hausse. Cependant, afin de couvrir quelque peu notre positionnement favorable au risque d’une éventuelle escalade de la guerre commerciale qui reste impossible à prévoir ou à quantifier, notre positionnement géographique en matière d’actions reste clairement concentré sur les Etats-Unis et s’écarte de fortes tendances sectorielles en général. Côté obligations, un brin supplémentaire de crédit européen, ou au moins une surpondération relative par rapport au crédit américain, semble être un bon moyen de reconnaître la croissance européenne.

Contexte économique en bref et analyse globale

L’économie mondiale ressemble actuellement à une grande table de poker où se trament des enjeux considérables. Le principal enjeu implique les Etats-Unis et la Chine; les deux pays comptent se défier l’un l’autre et faire monter les enchères. Pour Donald Trump, ce jeu est l’occasion de montrer sa résistance et sa ténacité avant les élections de mi-mandat, en proposant une nouvelle série de droits de douane sur USD 200 milliards de marchandises chinoises, tout en clamant haut et fort qu’il agit au nom du libre-échange. La tactique de la Chine semble être de montrer ses cartes doucement et discrètement afin de défendre sa position sans paraître agressive: elle augmente ses propres droits de douane juste après les Etats-Unis, de matière purement réciproque, en privilégiant des solutions alternatives aux importations américaines tout en constatant innocemment la chute du yuan face au dollar.

La négociation (ou plutôt l’absence de négociation)
entre le Royaume-Uni et l’UE ressemble à un jeu de poker.

C’est loin d’être le seul jeu de défiance sur la scène internationale. En Europe, la négociation (ou plutôt l’absence de négociation) entre le Royaume-Uni et l’UE ressemble aussi à un jeu de poker dans lequel l’UE exerce une pression maximum, tandis que Theresa May essaie de ne pas prendre position en prônant un «accord dur-souple» qui n’est acceptable ni pour les partisans britanniques du Brexit ni pour l’UE. D’autres jeux de poker secondaires se déroulent également ailleurs: en Turquie, entre Erdoğan et le marché des changes pour déterminer si la banque centrale doit augmenter ou non les taux d’intérêt; au Mexique où le président élu Andrés Manuel López Obrador semble avoir convaincu les investisseurs qu’il ne sera pas le leader gauchiste hostile au marché que beaucoup craignaient, mais est-ce du bluff ou pas?

Croissance

Sous la surface bruyante, la majeure partie de l’économie mondiale affiche de bons indicateurs en termes de croissance, la demande intérieure soutenant l’activité sur les marchés développés. Cependant, des incertitudes concernant les jeux de poker en cours constituent un risque pour les perspectives mondiales, car le sentiment négatif pourrait peser sur la croissance positive.

Inflation

A mesure que l’écart entre la production et l’emploi se resserre progressivement dans le monde, l’inflation est en légère hausse, soutenue par les cours du pétrole et des matières premières. Mais à part quelques cas très spécifiques, les pressions inflationnistes restent très faibles et ne nécessitent pas des mesures de la part des banques centrales.

Orientation des politiques monétaires

Sans une inflation importante, les positions des banques centrales sont dictées par leur confiance dans les perspectives de croissance. Si la Fed est suffisamment confiante pour maintenir la normalisation des taux à court terme, la BCE n’augmentera pas les taux dans un avenir proche et s’engage à ne pas le faire.

Tendances et niveau de l’indice PMI manufacturier

Source: Factset, SYZ Asset Management. Données au 17 juil. 18
Tendance de l’inflation et écart par rapport à l’objectif de la banque centrale

Source: Factset, Markit, SYZ Asset Management. Données au 17 juil. 18

Pays développés

Selon des estimations en temps réel de la croissance du PIB des Etats-Unis, l’économie américaine a progressé à un rythme de 3% annualisés voire plus au printemps. Cette forte expansion est très endogène, car la consommation des ménages est alimentée par le faible taux de chômage et les dépenses des entreprises sont soutenues par des réductions d’impôts et par les attentes d’une poursuite du cycle actuel. De surcroît, les attentes en matière d’inflation à plus long terme restent ancrées malgré l’accélération récente des taux inflationnistes annuels. Dans un tel contexte, le rôle de la Fed devient presque facile: tant que la dynamique de croissance reste forte, il n’y a aucune raison de ne pas poursuivre le relèvement des taux. Et il n’est pas nécessaire de s’empresser à durcir la politique monétaire de manière agressive en l’absence d’inflation sous-jacente. La Fed n’adopte plus une posture attentiste, et un relèvement des taux, cumulé à des révisions à la hausse de la croissance et des taux d’intérêt, a été perçu comme complètement justifié, expliquant pourquoi les marchés financiers n’ont pas beaucoup réagi.

Dans la zone euro, la situation est moins claire: l’investissement des entreprises a ralenti au cours du premier semestre en raison d’éléments défavorables dont un renforcement de l’euro et des menaces sur les droits de douane émanant des Etats-Unis, et la confiance des entreprises est restée entravée par des incertitudes quant à l’évolution du commerce mondial. En revanche, le déclin du taux de chômage et les conditions de crédit bon marché soutiennent la consommation intérieure, comme le montre la reprise du secteur des services en juin. Cette situation incertaine, dans un contexte où l’inflation s’essouffle également, justifie le signal de prudence de la BCE en juin. Il est intéressant de noter que le cycle économique des pays européens hors zone euro, tels que la Suisse ou la Suède, reste solide, soutenu par la dépréciation de leur devise.

Economies émergentes

Le Mexique et la Turquie ont maintenant élu les présidents qui les dirigeront dans les prochaines années. Cependant, ces résultats ont suscité une réaction quelque peu inattendue des marchés. Le choix de la Turquie en faveur du maintien à la présidence de Recep Tayyip Erdoğan, ainsi que sa vision d’une banque centrale subordonnée maintenant les taux à un niveau bas, a déclenché un nouveau record absolu pour la devise turque parallèlement à la poussée inflationniste. Au Mexique, la victoire attendue du candidat de gauche Andrés Manuel López Obrador a été saluée par les marchés après que le président élu a envoyé des signaux encourageants au monde des affaires. Les élections au Brésil, prévues pour le mois d’octobre, constituent le prochain événement politique important des économies émergentes.

La Chine reste dans une phase maussade en termes de croissance. A priori, cela serait plutôt dû au durcissement de ses conditions de crédit (décidées fin 2017) qu’aux restrictions commerciales. Toutefois, ces dernières pourraient commencer à se répercuter sur le sentiment dans le reste de l’Asie qui est fortement sensible au commerce mondial et à l’économie chinoise.

La croissance mondiale reste positive, mais les incertitudes liées aux droits de douane menacent déjà de ralentir le commerce mondial

Source: Factset, SYZ Asset Management. Données au 17 juil. 18
Investment Strategy Group - Synthèse et valorisations des actifs

Risque et duration

A l’entrée dans l’accalmie estivale, aucun changement n’a été apporté à l’évaluation: nous conservons une légère préférence pour le risque et une légère aversion pour la duration.

Marchés actions

L’idée d’appliquer une allocation d’actifs forte en termes de risque sur actions et pourtant bien équilibrée et monotone continue d’étayer notre prise de décision. Dans cette optique, nous avons décidé de maintenir notre préférence relative pour les actions américaines. Aucun autre changement n’a été apporté à l’allocation d’actions.

Marchés obligataires

Sur les quelques derniers mois, les marchés obligataires ont perçu d’importants déplacements en termes de valorisations et de dynamiques de prix. Les emprunts d’Etat américains offrent maintenant une valeur intéressante et le triple fléau de la hausse des rendements obligataires, de l’appréciation du dollar et des tensions commerciales entre les Etats-Unis et le reste du monde a mené les obligations des marchés émergents dans une sorte d’impasse. Bien que de bonnes valeurs se trouvent dans la dette des marchés émergents, il est un peu trop tôt pour nous lancer dans l’aventure. Mis à part ces thèmes dont nous avons discuté en détail par le passé, de légers changements ont été apportés dans l’univers des obligations d’entreprise.

Les spreads se sont particulièrement creusés en Europe. Conformément à l’indice ICE BofAML BBB Euro Corporate, l’écart corrigé en fonction des clauses optionnelles s’est creusé de plus de 60 pb, passant de 0,9% à plus de 1,5%, depuis début février. La différence entre l’écart corrigé en fonction des clauses optionnelles dans l’indice européen et l’indice américain équivalent n’est que de dix points de base, tandis que l’indice américain comporte presque deux années supplémentaires de duration.

Les rachats de crédit investment grade européen
approchent les niveaux atteints pendant la crise financière.

En ce qui concerne le segment obligataire à haut rendement européen, mesuré par l’indice ICE BofAML BBB Euro High Yield, les spreads se sont creusés encore plus nettement. En février, l’écart corrigé en fonction des clauses optionnelles s’élevait à 2,57%, soit plus de 70 pb de moins que le segment obligataire à haut rendement américain. Maintenant, les deux segments de marché que sont les Etats-Unis et l’Europe sont au même niveau à 3,55%, bien que l’Europe affiche un profil de duration légèrement meilleur et une qualité nettement supérieure de construction de l’indice. Le segment obligataire à haut rendement américain consiste en plus de 10% d’émetteurs énergétiques de qualité relativement faible, ce qui n’est pas le cas pour les obligations à haut rendement européennes.

Pourquoi l’ajustement substantiel? Une grande partie en a été stimulée par des craintes liées à la fin du programme d’achat d’obligations de la BCE et l’exode subséquent d’investisseurs particuliers. Cette année, les rachats de crédit investment grade européen approchent les niveaux atteints pendant la crise financière. Compte tenu du fait que l’approche de la fin de la politique monétaire accommodante de la BCE devrait continuer à faire les gros titres, le sentiment négatif envers la classe d’actifs devrait persister. Pourtant, les valorisations atteignent des niveaux tels que notre attitude négative envers la classe d’actifs doit être réévaluée.

Le moment n’est pas propice pour accumuler du crédit européen lorsque l’acheteur principal, la BCE, se retire progressivement. Cela dit, adopter une position trop négative envers la classe d’actifs n’est pas approprié non plus, sachant que les valorisations se sont largement améliorées et que les entreprises procèdent clairement au désendettement de leurs bilans avant le changement de politique de la BCE. Nous avons par conséquent relevé notre positionnement vis-à-vis du crédit investment grade d’un cran à «légère sous-pondération». Nous n’avons pas changé notre évaluation du crédit à haut rendement et conservons une aversion à son égard. Quant à nos préférences au sein des classes d’actifs, l’Europe a été revue à la hausse d’une aversion à une légère aversion dans les segments investment grade et à haut rendement.

Le redressement récent des emprunts a ramené ceux à dix ans
à environ 0,35%, ce qui est relativement cher.

Parallèlement, les emprunts d’Etat allemands ont été revus à la baisse d’une légère aversion à une aversion, ce changement étant doublement fondé. Premièrement, la BCE a indiqué que les taux d’intérêt devraient rester à leur niveau actuel jusqu’en 2019. Deuxièmement, le redressement récent des emprunts a ramené ceux à dix ans à environ 0,35%, ce qui est relativement cher selon nous. Cela fait du marché des emprunts un très bon outil de couverture, pour couvrir par exemple la duration sur le crédit investment grade européen, qui vient d’être légèrement revu à la hausse.

Marché des changes, produits alternatifs & liquidités

Aucun changement dans notre analyse.

Perspectives sur les investissements

Voici nos préférences d’investissement pour le mois d’août, définies lors de la réunion de stratégie d’investissement qui s’est tenue le 18 juillet 2018.