Dettes, la troisième vague

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

La vague des dettes privées et publiques dans le sillage de la pandémie va-t-elle nous submerger avant que nous puissions la prévenir?

La tentation de la métaphore est grande, car à l’instar de l’inexorable montée des océans, jusqu’ici insensible, l’augmentation des dettes publiques et privées menace de submerger nos économies. Et comme les lanceurs d’alerte du réchauffement climatique, ceux d’entre nous qui s’en émeuvent et le font savoir, se sentent démunis quand il s’agit de convaincre d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Aussi évidente que soit l’issue, son échéance incertaine, la conviction qu’on peut y échapper, la nécessité de satisfaire d’autres priorités, l’emportent encore largement.

Pourtant la troisième vague est en train de déferler. En 2020, la crise de la Covid-19 a provoqué une augmentation moyenne de la dette publique mondiale de près de 15 points de PIB. Soit, selon le cabinet Rexecode, un peu moins de 10 points en Allemagne, plus de 15 pour la France et jusqu’à plus de 20 points de PIB aux Etats-Unis, en Italie ou encore au Japon. Ces variations dépendent autant de l’ampleur du choc pandémique que du train de mesures de soutien budgétaire mises en œuvre par les Etats concernés. Considérons cependant que tous ont souffert d’une forte récession et d’un recul général des pouvoirs d’achats ; que la reprise, aussi vigoureuse soit-elle, ne permettra pas de retrouver les niveaux d’activité d’avant-crise en 2021, et que la résorption des déficits prendra probablement de longues années.

La «japonisation» de l’économie
gagne du terrain.

De fait, la reprise se fait encore attendre dans de nombreuses régions. De plus, elle devrait s’accompagner un peu partout de faillites et de chômage accrus, à mesure que les aides publiques se réduisent. Cette nouvelle vague d’endettement vient coiffer les précédentes1, la crise des subprime et de celle de l’euro pour ne citer que les plus récentes. Les dérives budgétaires antérieure du Japon, et l’Europe, ont amorti, mais également reporté les difficiles réformes des systèmes économiques et sociaux.

Et chacun de souligner que nos économies n’ont jamais connu un tel niveau d’endettement public en temps de paix. Avec une population vieillissante et des perspectives d’investissement d’autant plus compromises qu’elles sont en partie détournées par le remboursement des emprunts, la perspective d’une croissance forte s’avère particulièrement précaire, de même que le risque de manquer de moyens face à un nouveau choc économique accru, et la codépendance à la Banque Centrale devenue indissoluble.

Les résultats sanitaires ne sont pas toujours
à la hauteur des moyens mobilisés.

Le poids croissant de la dette publique, le ralentissement plus marqué de la croissance potentielle, remettent en cause les équilibres sociaux-politiques à l’intérieur de nos économies comme entre les puissances mondiales. Au niveau européen, l’écart qui se creuse entre les performances des pays-membres pourrait amplifier les forces centrifuges.  La «japonisation» de l’économie gagne du terrain.

Face aux nécessités du moment, ces avertissements restent lettre morte. La mobilisation de moyens supplémentaires au secours de la reprise continue de prévaloir. On en comprend l’urgence. Pourtant les résultats sanitaires ne sont pas toujours à la hauteur des moyens mobilisés. Se projeter dans l’après-covid consiste d’ores et déjà à se recentrer sur les moyens de libérer les forces économiques susceptibles d’activer le rebond. Cela passe probablement par une remise à plat des missions essentielles de l’Etat. Les premières initiatives de remise sur pied se dessinent: au Royaume-Uni, le Chancelier de l’Echiquier a promis des hausses d’impôts pour 2022. L’Administration Biden y réfléchit également. En Italie, le nouveau Président du Conseil entend remédier aux lenteurs de la bureaucratie et de la justice. Dans ce contexte, le maintien durable des taux d’intérêt très bas devient cardinal, et garanti pour encore un long moment par les autorités monétaires.

Comme le rappelait l’économiste Dani Rodrik2: «il existe deux types de crises: celles auxquelles nous ne pouvions pas nous préparer car personne ne les avait imaginées, et celles auxquelles nous aurions dû être préparés, car elles étaient attendues».

1 Voir notre éditorial «Les bons et les mauvais élèves de la dette» 29 janvier 2019

A lire aussi...