Des règles mondiales sur les capitaux sont-elles possibles?

Howard Davies, Banque royale d'Ecosse

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Dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, les détails sont presque finalisés. Aux États-Unis, en revanche, la partie ne touche certainement pas à sa fin.

Que se cache-t-il derrière un nom? Les propositions finales relatives aux règles sur les capitaux bancaires ont été baptisées Bâle 3.1, comme pour suggérer un exercice minime de remise en ordre – seulement quelques notes d’ornement ajoutées à une mélodie déjà composée de longue date. Craignant que les implications ne soient plus sérieuses, les banques parlent en revanche de Bâle 4, non pas d’un simple ajout de quelques notes, mais d’une refonte de l’ensemble de la composition, désormais dans une tonalité majeure.

L’expression Bâle 4 n’a pas duré. Les régulateurs ont en effet insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle mélodie, et que quiconque connaissait la partition de Bâle 3 n’aurait aucun mal à saisir Bâle 3.1. Par la suite, un praticien anonyme des sombres arts politiques américains a introduit l’expression «Basel Endgame», comme si quelque chose était sur le point de mourir. Du côté est de l’Atlantique, ce terme rappelle la pièce de Samuel Beckett, Fin de partie, qui traite de l’angoisse existentielle ainsi que de la futilité et du sens de la vie humaine. Les non-professionnels du secteur bancaire y verront peut-être une description appropriée du débat sur la juste envergure des réserves de capitaux des grandes banques, qui dure depuis maintenant de nombreuses années.

Certains pays tels que Singapour et l’Australie ont cessé d’ergoter, préférant aller de l’avant. Dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, les détails sont presque finalisés. Aux États-Unis, en revanche, la partie ne touche certainement pas à sa fin – celle-ci pourrait même être encore plus lointaine que jamais, après la récente intervention du président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell.

Permettez-moi de livrer une version courte de cette histoire compliquée. Tout a commencé l’été dernier, lorsque le vice-président de la Fed en charge de la supervision, Michael Barr, a formulé plusieurs propositions modérément exigeantes, appelant à des augmentations capitalistiques non négligeables. Les banques américaines ont lancé une solide contre-offensive, et Powell considère désormais que plusieurs «changements substantiels» doivent être apportés à des propositions qu’une majorité de membres du Conseil de la Réserve Fédérale soutenait pourtant encore l’an dernier.

Les accords de Bâle de l’UE sont mis en œuvre par le biais de directives ou de règlements ayant force de loi dans l’ensemble du bloc. 

Les points forts de l’argument sous-jacent ont presque été submergés par la politique. Certaines banques ont-elles raison de considérer que les propositions de la Fed les placeront dans une position de désavantage concurrentiel sur le plan international? Il est très difficile de comparer les propositions entre les différents pays. L’intention de Barr, sans aucun doute influencée par la série de faillites bancaires embarrassantes de l’année dernière aux États-Unis, impliquait une augmentation capitalistique plus importante que celle envisagée par l’UE, mais à partir d’une base moins élevée. Comme à son habitude, le Royaume-Uni se situe quelque part entre les deux.

Ces différentes propositions sont-elles toutes conformes à l’accord de Bâle initial? Le Comité de Bâle répondra à cette question en temps voulu, mais il semble actuellement que le Royaume-Uni s’y conformera plus ou moins, ce qui ne sera en revanche pas le cas de l’UE. Dans le cadre des propositions de Barr, le système américain s’y serait probablement conformé, plus strictement d’ailleurs. Désormais, personne ne sait réellement à quoi aboutira la situation.

Ce que nous savons, c’est que les accords constitutionnels qui régissent l’établissement des normes de capital pour les banques sont remarquablement divergents dans les trois principales juridictions occidentales. Dans l’UE, c’est un organe politique qui tient la plume, la Commission européenne, dans la mesure où la stabilité du marché unique exige l’absence de discordance significative d’une région à une autre. S’il en existait, toutes les banques installeraient leur siège social dans l’État appliquant les règles les moins strictes, et y mèneraient l’ensemble de leurs activités européennes.

Ainsi, les accords de Bâle de l’UE sont mis en œuvre par le biais de directives ou de règlements ayant force de loi dans l’ensemble du bloc. Compte tenu des circonstances, il n’est pas surprenant que le résultat soit un accord qui pourrait légèrement contredire le texte de Bâle initial. Comme à leur habitude, les politiciens ont répondu à une requête particulière. Le compromis dit danois, par exemple, prévoit une concession pour les banques propriétaires de leurs propres compagnies d’assurance. C’est un secret de Polichinelle que si la Banque centrale européenne était pleinement au contrôle, l’UE serait conforme à Bâle, comme prévoit de l’être le Royaume-Uni.

Des points de vue ardemment défendus existent des deux côtés du débat sur la question de savoir si les banques centrales devraient être en charge de la supervision bancaire. 

Depuis le Brexit, le régulateur britannique est seul aux commandes. Le gouvernement a délégué à la Banque d’Angleterre le pouvoir d’établir les règles relatives aux capitaux, et même s’il semble parfois que les ministres regrettent cette décision, je doute que ce fonctionnement puisse changer à ce stade.

À première vue, le système américain en la matière pourrait ressembler à celui du Royaume-Uni, puisque c’est la Fed qui est aux commandes. Néanmoins, contrairement à celui de la Banque d’Angleterre, le Conseil de la Fed est politiquement équilibré, une majorité représentant le parti au pouvoir. C’est la raison pour laquelle Barr a pu proposer son solide paquet de règles en premier lieu. Mais comme le soutient Peter Conti-Brown de la Brookings Institution, Powell cherche désormais à protéger la Fed, plutôt que le système financier, face à de vives critiques publiques. Il «semble accorder une importance si élevée à l’indépendance de la Fed pour la politique monétaire qu’il souhaite éviter les conflits politiciens autour de la politique réglementaire».

Cet argument rappelle la vision de longue date de la Bundesbank allemande, selon laquelle une banque centrale indépendante ne devrait pas se mêler des basses besognes de la supervision bancaire. Gordon Brown, en tant que chancelier de l’Échiquier, avait agi selon cette vision en reportant la supervision bancaire vers l’Autorité des services financiers (que j’ai présidée) en 1997. George Osborne est néanmoins revenu sur cette décision en 2013.

Des points de vue ardemment défendus existent des deux côtés du débat sur la question de savoir si les banques centrales devraient être en charge de la supervision bancaire. La manière dont le «Basel Endgame» se déroule révèle combien il sera difficile d’établir des normes mondiales communes à travers différentes dispositions constitutionnelles.

Dans la pièce Fin de partie de Beckett, le personnage Clov s’efforce désespérément, et de manière assez pathétique, de créer de l’ordre à partir du chaos. «J’aime l’ordre. C’est mon rêve», dit-il. «Je fais de mon mieux pour créer un peu d’ordre.» Cela pourrait être la devise du Comité de Bâle, qui tente actuellement de faire accepter sa vision. Mais à l’instar de Clov, il pourrait se retrouver confronté à des obstacles insurmontables.

 

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