De la stabilité déstabilisante

Peter De Coensel, Degroof Petercam Asset Management

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Les effets sédatifs des politiques monétaires pourraient inciter les investisseurs à des prises de risque excessives. La vigilance est de mise.

©Keystone

Le temps est venu de revenir sur l’hypothèse d’instabilité financière émise par l’économiste américain Hyman Minsky1. Son postulat est le suivant: lorsque le risque financier est faible, les agents économiques ont tendance à être moins prudents et à prendre des décisions plus risquées. Or la prise de risque excessive est susceptible de déboucher sur une crise. En résumé, comme l’affirmait Hyman Minsky: «la stabilité est déstabilisante». 

La volatilité des marchés financiers n’a en elle-même guère d’influence sur la prise de risques, l’économie réelle ou la survenance de crises financières. Cependant, les épisodes durant lesquels cette volatilité est inhabituellement basse ou, au contraire, très élevée peuvent avoir des conséquences défavorables pour les marchés. Leur durée est un facteur primordial. Il faut en effet que l’épisode de faible volatilité persiste suffisamment longtemps pour qu’un boom du crédit puisse advenir. En revanche, le temps nécessaire à la formation d’un excès sur les marchés actions est plus court. 

La seule période susceptible de constituer
une référence remonte à la Seconde Guerre mondiale.

Ces constats amènent à se poser la question de savoir durant combien de temps les mesures budgétaires et monétaires mises en place depuis le mois de mars seront en mesure de contenir ou de supprimer la volatilité et, par voie, de continuer à offrir des conditions propices aux marchés, qu’il s’agisse des actions ou du crédit. La réponse à cette interrogation est évidente: faute d’indicateur approprié, nous l’ignorons. La seule période susceptible de constituer une référence remonte à la Seconde Guerre mondiale, une époque durant laquelle les marchés financiers étaient très réglementés et beaucoup moins ouverts qu’ils ne le sont aujourd’hui. 

Méfions-nous des eaux dormantes

Les politiques monétaires mises en place sur les marchés développés ont eu des effets sédatifs sur les taux d’intérêt à long terme. Le contrôle de la courbe des taux, qu’il soit explicite ou implicite, permet aux gouvernements et aux entreprises de se refinancer à des coûts historiquement bas. Le secteur bancaire peut jouer son rôle d’intermédiaire dans des conditions exceptionnellement favorables et donc sans prise de risques pour les bilans des établissements financiers. Cela signifie que le public dans son ensemble, au travers de l’industrie des fonds de placement, des sociétés d’assurances, des caisses de pension ou des investisseurs privés, se trouve très largement exposé aux produits financiers.

Les actions des entreprises qui affichent les bilans
les plus solides sont susceptibles d’être un refuge.

Le filet de sécurité monétaire étant en place et la crédibilité intacte, la politique budgétaire gagne en importance. Cependant, si elle se cantonne au versement de subventions et sert au financement d’entreprises improductives, alors la période de stabilité sera raccourcie. Au contraire, une politique budgétaire responsable et inclusive orientée vers des projets à forte valeur ajoutée pourrait la prolonger, du moins jusqu’à ce qu’un nouvel obstacle se présente.

Avec des rendements qui reculent bien au-dessous de 1% sur les marchés des emprunts de qualité, les investisseurs se trouvent confrontés à des défis sans précédent. Par ailleurs, les primes de risque pour le crédit sont minimes. Dans un tel contexte, les actions des entreprises qui affichent les bilans les plus solides sont susceptibles d’être un refuge. Néanmoins, pendant que le capitalisme tente de s’adapter à ce nouveau régime caractérisé par la prise de contrôle des autorités monétaires et budgétaires, il importe de rester prudent.

 

1 «L'hypothèse d'instabilité financière – Les processus capitalistes et le comportement de l'économie», Hyman P. Minsky

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