COVID-19: racine carrée, monétisation et économie de bulles

Florian Roger, Exane Derivatives

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La plupart des éléments de résolution de la crise macrofinancière liée au coronavirus sont réunis.

©Keystone

Un certain nombre de pays développés, comme la France ou l’Italie, semblent s’orienter vers des périodes de confinement plus longues que prévu, d’au moins 8 semaines. Cela implique de nouvelles révisions à la baisse des prévisions de croissance macro-économique. En parallèle, la saison de résultats du premier trimestre 2020 débute aux Etats-Unis et les attentes (guidances) des entreprises pour les prochains trimestres vont être fortement dégradées. Ces deux éléments pourraient quant à eux amener une consolidation du marché après le rebond particulièrement violent des dernières semaines. 

Au-delà de cette volatilité à très court terme, nous considérons que la plupart des éléments de résolution de la crise macrofinancière liée au COVID-19 sont réunis, même si cette dernière devrait avoir des impacts conjoncturels durables. La diminution du nombre de nouveaux cas, des personnes en réanimation et des décès journaliers dans la plupart des pays du G7 permettent en effet au marché d’envisager des déconfinements progressifs des économies, et donc de projeter un début de sortie de crise (même si une seconde vague épidémiologique ne peut être exclue à ce stade). Les Etats mettent par ailleurs en place des réponses budgétaires et monétaires massives, et de mieux en mieux articulées. 

Monétisation de la dette européenne

En Europe, l’effort budgétaire est principalement consenti au niveau national. Depuis le début de la crise, les Etats financent notamment des mesures de chômage partiel et assurent des plans de garanties pour les prêts aux entreprises. L’objectif est de protéger au maximum l’emploi, variable économique qui serait à même de faire dégénérer la récession causée par le COVID-19 en une véritable dépression. Bénéficiant de l’expérience de plus de dix ans de crises, les pays européens ont été particulièrement réactifs pour mettre en œuvre leurs plans d’aide nationaux.

Tant que la BCE apporte un soutien financier aux Etats, 
leur situation budgétaire devrait rester viable.

De nombreux investisseurs s’inquiètent néanmoins de l’explosion des dettes publiques nationales que ces programmes vont générer, notamment dans les pays périphériques de la zone euro, et regrettent qu’il n’y ait pas davantage de solidarité budgétaire, via par exemple la création d’Eurobonds. Il est vrai que cela redonnerait plus de poids à la zone euro sur le plan politique et lui permettrait de mieux faire face aux défis de demain. Cependant, tant que la BCE apporte un soutien financier aux Etats, comme elle le fait actuellement avec son programme d’urgence PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) à hauteur de 750 milliards d’euro, leur situation budgétaire devrait rester viable, avec de facto une monétisation des dettes publiques. L’activation de l’ESM (European Stability Mechanism) est une excellente nouvelle dans cette perspective, puisqu’elle avalise juridiquement une intervention inconditionnelle de la BCE, permettant de garantir le financement des pays membres de la zone euro. 

Transfert de la bulle du crédit américaine

Aux Etats-Unis, les plans de soutiens budgétaires se succèdent et les montants mobilisés dépassent, en théorie, le choc conjoncturel causé par la crise du COVID-19. Les stabilisateurs automatiques américains sont toutefois nettement plus faibles que leurs équivalents européens et ne permettent pas aux mesures contre-cycliques actuelles d’avoir la même efficacité. Surtout, la crise du COVID-19 sonne la fin d’un cycle des affaires de près de 11 ans, qui a vu se constituer un grand nombre de déséquilibres macrofinanciers. Le marché du crédit, dont la taille a plus que doublé en 10 ans (passant de près de 3’000 à plus de 8’000 milliards de dollars), est particulièrement concerné. Il est notamment en proie aux dégradations de notation des agences qui risquent de faire basculer de nombreuses obligations du segment Investment Grade au segment High Yield (surnommées fallen angels) et de provoquer des ventes forcées de ces titres des fonds d’investissement.  

Les Etats-Unis ne pourront pas revenir au plein emploi avant 2022.

Face à cette situation, la Fed a annoncé qu’elle serait en mesure d’augmenter considérablement (presque doubler) la taille de son bilan et d’intervenir sur l’ensemble du marché du crédit, pour un montant de 850 milliards de dollars (marchés primaire et secondaire, segments Investment grade et High Yield). La Réserve Fédérale va en particulier acheter directement des fallen angels et des ETF High Yield, effectuant donc de facto un transfert de la bulle du marché du crédit vers son bilan. Cela permettra au stress financier de rester contenu et d’envisager une sortie de crise macrofinancière liée au COVID-19 dès cet été.

En revanche, cela ne signifie pas que les primes de risque sur le marché du crédit peuvent se recomprimer comme avant la crise, car les fondamentaux des entreprises restent dégradés. Cela devrait notamment inciter les entreprises à plus de prudence sur l’emploi. Nous ne prévoyons pas que les Etats-Unis reviendront au plein emploi avant 2022. En termes de scénario de marché, il pourrait en résulter une reprise en forme de racine carrée. Cela est atypique, mais au fond avec la crise du COVID-19, tout peut changer… tout sauf, bien sûr, l’économie de bulles!

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