Coup de théâtre italien

Salima Barragan

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«Le gouvernement de coalition est un animal politique dont l’espérance de survie n’est pas très élevée», estime Didier Borowski d’Amundi.

 

La finalisation d’un gouvernement de coalition constitué de la Ligue du Nord (extrême-droite) et du Mouvement 5 étoiles (antisystème) clôt 88 jours d’intrigues politiques. Pour la première fois dans l’histoire, un Etat d’Europe du sud se pare d’un gouvernement populiste. Mais cette union contre-nature n’a pas le soutien du peuple italien pour sortir de l’Europe. Quelles sont les implications de ces élections rocambolesques pour l’Italie et l’Union européenne?

Risque de dérives budgétaires

L’Italie évite la crise institutionnelle en nommant comme ministre des finances, Giovanni Tria, qui reconnait les prérogatives constitutionnelles du Président Italien et est plutôt favorable à l’UE. «Ce qui rassure les marchés, c’est le pragmatisme du nouveau gouvernement qui se rend compte de la vulnérabilité de l’Italie qui a besoin de l’Europe pour survivre», analyse Didier Borowski, responsable de la recherche macroéconomique globale chez Amundi. L’Italie est donc revenue en arrière sur son choix initial de nommer un ministre eurosceptique. Mais cette élection reflète surtout une attitude «anti-establishment», qui n’est pas pour autant anti-européenne. «L’élection s’est faite sur un fond de crise migratoire. C’est cet élément qui a fédéré la coalition», explique Didier Borowski. D’ailleurs, la majorité des Italiens, favorables à l’Union européenne et l’euro, n’ont pas la volonté d’en sortir. «Le changement de ministre des finances a été un signal fort démontrant que les 2 partis de la coalition comprenaient qu’ils n’avaient pas le mandat du peuple pour sortir de l’Europe».  

«Le marché de la dette italienne étant peu liquide,
les spreads sont sujets à des oscillations d’une forte amplitude.»

Et pour cause, les conditions économiques sont favorables. La croissance s’est nettement améliorée au cours des deux dernières années: attendue par Amundi à 1,3% cette année, la croissance reste très supérieure à son potentiel estimé à quelque 0,5%. Fin mars, la dette italienne pesait 2’302 milliards d’euros soit 132% de son PIB, un ratio élevé mais qui se stabilise. Son secteur privé est l’un des moins endettés d’Europe. Le pays présente un excédent budgétaire primaire (avant paiement d’intérêts sur la dette) récurrent (1,9% du PIB en 2017).

D’ailleurs, les divergences de ces deux partis – à l’opposé sur l’échiquier politique – portent sur des propositions budgétaires, qui varient de 60 à 100 milliards d’euros (selon les estimations), ce qui conduirait à une détérioration du déficit budgétaire de 4 à 7% du PIB. Une telle dérive serait évidemment incompatible avec le pacte de stabilité budgétaire fixé par l’Union européenne. Rappelons que le déficit budgétaire total de l’Italie est de 2,3% du PIB, et le seuil de déficit à ne pas dépasser est de 3% du PIB. «Ces propositions contreviennent de façon flagrante aux règles budgétaires européennes. L’Italie risque de se mettre en porte-à-faux, ce qui la précipiterait dans une crise grave», analyse Didier Borowski. Toutefois, en pratique, conservons à l’esprit que le Président Sergio Matarella est le gardien de la constitution, et qu’il peut à ce titre opposer son véto dans le cas d’une dérive des finances publiques qui serait jugée insoutenable.

Nervosité sur la dette souveraine

Les inquiétudes autour des élections avaient hissé le rendement de l’obligation italienne à 2 ans de 0,50 à un pic de 2,83 (30 mai) avant de se stabiliser autour de 1% (13 juin). Le taux à 10 ans se stabilise quant à lui légèrement en deçà de 3%. «Le marché de la dette italienne étant peu liquide, les spreads sont sujets à des oscillations d’une forte amplitude,  mais il n’y a à ce jour pas de raison de remettre  en question la reprise cyclique italienne et la prime de risque est pleinement justifiée par le niveau élevé d’incertitude politique», souligne Didier Borowski.

Les ménages italiens, dont l’épargne est élevée,
détiennent 68% de la dette souveraine.

Quelles sont les implications d’un renchérissement de la dette italienne pour les finances de l’État? «Les problèmes de refinancement sont inexistants à court terme car le taux d’intérêt effectif moyen payé sur la dette en 2017 était de 3%, soit un niveau très proche des niveaux actuels», explique Didier Borowski. Les ménages italiens, dont l’épargne est élevée, détiennent 68% de la dette souveraine et les banques centrales étrangères en détiennent quant à elles 15%. Il n’y a donc peu de dette italienne entre les mains d’investisseurs étrangers susceptibles de s’en délester rapidement, ce qui réduit le risque d’une envolée des rendements obligataires et d’une contagion systémique sur les autres pays périphériques. Les conditions macro-économiques sont meilleures et la BCE dispose d’une palette d’outils afin d’endiguer une contagion de la dette. «On ne reverra pas la crise financière d’ il y a 5 ans, même si des problèmes de financement de la dette ne sont pas exclus dans le cas d’une attitude frontale du gouvernement en matière budgétaire». Selon lui, la question épineuse se portera sur le taux d’intérêt à offrir pour attirer de nouveaux investisseurs lors de la fin du programme de rachat de la BCE d’ici la fin de l’année.

Un défi pour l’Europe

Les relations avec l’Union européenne est un point à l’ordre du jour et devrait aboutir à une réflexion sur la politique européenne d’immigration qui a couté cher à la péninsule. Angela Merkel semble accepter de renforcer des instruments de partage des risques afin d’augmenter l’attrait de l’ombrelle européenne. A court terme, la probabilité d’un Italexit est nulle car le peuple italien comprend que le pays est trop vulnérable pour se passer de la protection européenne. «Le propre du populisme, c’est d’aller dans le sens du peuple», nous rappelle Didier Borowski.

Le sommet du Conseil européen fin juin tentera de dégager un consensus sur le mécanisme européen de stabilité dont l’Italie devra respecter les règles pour y avoir accès (en cas de besoin). «Le moment de vérité pour la coalition aura lieu quand le gouvernement présentera son programme budgétaire au parlement car ce dernier n’est pas compatible avec les règles budgétaires européennes ; si les dernières déclarations du ministre des finances sont plutôt rassurantes, la situation peut évoluer rapidement», conclut Didier Borowski. Ce sera donc à l’alliance populiste de choisir de mener ou non, le pays dans le drame. Pour le moment la coalition temporise, ce qui est rassurant.